Des sondages pour mieux connaître Saint-Salvi d’Albi

Le Plo

Autour du XIIe siècle (1) à Albi, une communauté d’une vingtaine de chanoines fait ériger progressivement au-delà des murs de la Cité, une toute nouvelle église afin d’accueillir les reliques d’un saint autochtone de grand renom : Salvi (2).

Les chanoines sont installés sur un plateau surélevé à quelques centaines de mètres des remparts. Le point le plus haut de la ville, c’est le Plo (3) d’Albi. Le lieu est un cimetière. Nous en reparlerons.

Les pentes alentours sont colonisées par des maisons hautes; y grimpent des ruelles sinueuses et étroites comme la ruelle du coustou (4) de Saint-Salvi.

En contrebas, l’activité commerciale est dense. Les “Combes” entre les remparts et le Plo grouillent de vie et d’activités. Elles dominent un quartier plus ancien, celui de La Rivière, au nord, au bord du Tarn.

Juste en face de l’église Sainte-Martiane, les vénérables assumeront des années durant la laus divina. Ils suivent avec plus ou moins de ferveur la règle de saint Augustin. S’agrègent aux chanoines, des vicaires car Saint-Salvi est aussi une paroisse.

Y-a-t-il  eu au préalable sur le Plo un bâtiment différent, moins prestigieux  pour accueillir déjà la petite communauté soudée autour du culte à saint Salvi ? C’est tout à fait probable. Mais rien n’est sûr. Salvi est-il enterré en ces lieux ou bien ailleurs sur le territoire d’origine de la communauté ? Aucune certitude non plus.

En odeur de sainteté

La ferveur des pèlerins est telle que la nouvelle église comptera une crypte. Elle abritera les supposées reliques du saint mobilisées à plusieurs reprises dans l’histoire(5).

Mais d’autres saints font l’objet de vénération à Albi: saint Clair le plus ancien, saint Amarand dans la campagne à l’est(6) et bien sûr sainte Cécile, un peu plus tard.

Les reliques de Saint Salvi attirent les pèlerins, les inhumations aussi.Elles attisent les désirs des Albigeois d’être inhumés à proximité du saint.

Le pouvoir, celui de l’évêque d’Albi, encourage ce genre de pratiques et d’initiatives.

Une crypte déambulatoire

La crypte au Moyen Âge est un bâtiment voûté, situé souvent sous le chevet de l’église. La crypte est dédiée à la préservation et à la vénération des reliques.

Petite de 30 m2 à peine, celle de Saint-Salvi est semi-circulaire creusée dans l’axe sous le maître-autel. Elle ne présente aucun aspect vraiment spectaculaire en architecture.

Derrière l’autel(aujourd’hui le baldaquin), descendent deux escaliers en pierre d’une dizaine de marches. L’un pour descendre. L’autre pour remonter. Les fidèles peuvent ainsi venir, se croiser et repartir sans bousculade.

Quelle forme avait cette crypte avant sa construction? Une salle entourée d’un banc de pierre avec une arête en biseau et au centre les reliques.

Un artiste a peint sur les murs différents motifs: croix fleuronnées rappelant un peu une feuille de persil, cercles et losanges sur un fond uni rouge, le tout dans des bandes horizontales en plaques successives. On donne à la peinture la forme d’un drapé.

Vue de l’intérieur de la crypte voûtée en berceau. Aucune source de lumière. Banquette maçonnée sur les côtés avec fresques sur les murs d’appui. Source: service du Patrimoine de la Mairie d’Albi
Accès à l’intérieur de la crypte par les degrés d’un escalier qui monte jusqu’au Chœur. Source: service du Patrimoine de la Mairie d’Albi
État des peintures dégradées par l’humidité. Source: service du Patrimoine de la Mairie d’Albi
Emplacement du sondage derrière l’abside.
Les différentes couches mises au jour dans leurs épaisseurs respectives. Elle permettent d’élaborer une chronologie relative des lieux. Merci à Rosy pour le cliché.
Présence d’un fragment de sarcophage en réemploi à proximité du portail nord de la collégiale. Remarquez les différences de couleur. La cuve parait à l’envers en longueur et le couvercle, dessous, disposé sur un flanc avec  un arrondi ou une sorte de bâtière à droite pour le toit.
Pour vous donner une idée générale des lieux rien de tel que ce petit livre: La collégiale Saint-Salvi

XVIIIe siècle : remodelage des lieux

Avant la Révolution le débat fait rage. La conception et les pratiques de la sainteté sont remises en cause, y compris dans les rang de l’Église d’ailleurs. Dans le camp des admirateurs, face aux sceptiques, il s’agit de légitimer de nouveau, des pratiques de dévotion depuis longtemps mises à mal et critiquées.

Aussi, la crypte est-elle remise au goût du jour à l’initiative du prévôt Antoine de Metge lors de la restauration du maître autel. La grande période des pèlerinages est terminée. Il transforme la crypte en une petite chapelle en y ajoutant probablement un autel et une niche. L’une des questions est de connaître l’exacte teneur des modifications subies par le petit édifice à cette époque.

A-t-il voulu rappeler les pratiques paléochrétiennes à des fins politiques? Cela n’est pas exclu.

2018: une question d’étanchéité

Du temps a passé. La crypte est toujours là mais elle est touchée par l’humidité, l’enduit et les peintures se dégradent. Il est décidé de creuser un drain le long du chevet pour tenter d’assainir le local souterrain. Stopper les infiltrations d’eau devient urgent.

La construction du drain risque d’entraîner des dommages irréversibles au niveau archéologique. Catherine Viers et son équipe de l’INRAP interviennent alors pour évaluer la teneur des sols sur quelques mètres de profondeur.

Deux sondages sont menés à bons termes.

Le premier, à l’intérieur même de la crypte, pour connaître la nature exacte du sous-sol. Après l’enlèvement  de deux dalles, la pièce s’avéra construite sur des sols sans risque de vestiges: des graves argilo-caillouteuses.

L’autre sondage, à l’extérieur de la collégiale, contre et sous l’abside du XVe siècle, s’avéra plus riche en informations. Une coupe stratigraphique montra la présence sur le Plo de plusieurs couches d’habitats successifs.

Enquête en sous-sol

Le sol enregistre les différents passages et aménagements des hommes depuis des siècles. Une coupe stratigraphique est un peu un livre d’histoire dont il faut bien sûr s’assurer du bon ordre des pages. Quelles sont les parts exactes des remblais, des gravats issus des démolitions de bâtiments ? Où sont les couches ?

Un principe de base, parfois battu en brèche par les aléas de l’histoire: plus on descend, plus c’est vieux. 

Une terre grise épaisse marque surtout la période médiévale. 

Dans la petite fenêtre du sondage autorisé, furent repérées trois séries d’ossements avec des traces discrètes de cercueil en bois. Un enfant, enfoui en partie sous le mur du chevet et un vieillard d’une soixantaine d’années édenté avec une fracture au bras. Peu d’objets entouraient les corps.

Il est donc délicat de leur donner un contexte précis d’inhumation tant les sépultures connaissent des bouleversements au cours des siècles.

Leçon d’archéologie: si ça remue sur la terre, c’est aussi vrai sous la terre, surtout pour les défunts(squelette) dont les vivants ont peu de scrupule à bouleverser les postures voir les places avec le temps. Les causes sont nombreuses: inondation, réaménagement des lieux, pillage, manque de place(7). 

Pour ne parler que des sarcophages, ceux-ci sont vidés, transférés d’un lieu vers un autre.

Le réemploi visible d’une cuve de sarcophage et de son couvercle(sur deux niveau d’assises)dans un mur à quelques mètres à gauche du portail nord est parlant

Il n’est pas rare qu’ils terminent leurs existences comme abreuvoirs ou bac à fleurs à la surface.

Un rapport réalisé autour de  1860 par Hippolyte Crozes est édifiant à cet égard. 

Lors de l’aménagement de la rue Mariès, il fallut niveler. On décaissa alors le sol sur plusieurs mètres. Au nord de Saint-Salvi, les ouvriers mirent au jour un vaste cimetière. Plutôt devrions nous écrire plusieurs générations de cimetières avec des modes d’inhumation variés:

linceuls dans  des coffres en bois, caveaux collectifs, cercueils de pierre, sarcophages en grès avec logettes céphaliques.

Hélas, comme souvent pour les fouilles des pionniers de l’archéologie le flou de la description, la faible quantité d’objets récupérés ne permettent pas d’écrire véritablement l’histoire du lieu.

Tout juste peut-on de brosser quelques lignes générales sur son évolution à l’échelle d’un temps très long. 

Au final

Il ne fait pas de doute qu’il y eu une nécropole depuis l’Antiquité. Puis un cimetière bien antérieur à la construction de Sainte-Martiane et de Saint-Salvi en tout cas. 

Paroissial à partir du XIIIe où le cimetière est divisé pour la première fois en deux entités  distinctes celle de Sainte-Martiane et celle de Saint-Salvi. Il est désaffecté au XVIIIe siècle comme le cas est fréquent.

Sous la terre grise, une terre argileuse jaune identifiée en d’autres points de la ville qui correspond plutôt à la période gallo-romaine. On y découvrit de la vaisselle de Montans et de la céramique produite à Albi même à la période romaine. Ce qui révèle un intérêt certain.

Une petite coupe en bon état de conservation a été extraite du sol.

Un niveau protohistorique a aussi été décelé avant d’atteindre les graves. 

Pour terminer, il est à signaler la présence d’un mur très ancien, parallèle à l’abside, dont on ignore la fonction précise.

Voilà donc ce que l’on peut dire sur les côtés nord et est du lieu. 

Notes

(1)Difficile de déterminer la chronologie exacte des travaux.

(2)Il appartient à la cohorte nombreuse des saints issus des élites dirigeantes. Ils ont vécu une jeunesse dorée avant de se retirer à la tête d’un monastère. 

(3)Plo signifie colline en occitan.

(4)Coustou: le raidillon en occitan.

(5)Déjà à la fin du XIe siècle, on voit les chanoines aller jusqu’à Rabastens exiger à ce que les droits de la communauté soient respectés … avec le Saint en « Majesté ».  Une autre statue de Saint Salvi remontant au XIVe siècle a aussi été volé à une époque récente.

(6)Vers Cunac, le lieu probable est identifié.

(7) C’est surtout vrai à partir du VIe siècle.

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