Visite de Saint-Michel de Lescure-en-Albigeois : ancien prieuré Saint-Michel et église de Cahuzaguet (la visite de cette église sera traitée ultérieurement)

Aux origines de Saint-Michel de Lescure

L’église Saint-Michel de Lescure est certainement l’un des fleurons le mieux conservé de l’art roman dans le département du Tarn, avec la collégiale de Burlats, mais celle-ci est partiellement ruinée. Issu très probablement d’une chapelle cémétériale, pour christianiser une nécropole païenne, comme s’était fréquemment le cas à l’époque du haut Moyen Âge, ce lieu de culte tombe dans la main de l’abbaye bénédictine de Saint-Michel de Gaillac à la fin du Xe siècle. Cette église extra muros, classée au titre des Monuments Historiques en 1883, n’a jamais été une paroissiale, cette dernière étant située dans le bourg de Lescure-d’Albigeois. À partir de 1812, nous savons que l’église est uniquement réservée aux services mortuaires.

Une construction par à-coups

Sur le plan géopolitique, l’Albigeois vient en dot au roi Robert II le Pieux, fils d’Hugues Capet, par le biais de son union, vers 1003, avec Constance d’Arles, fille du comte de Toulouse.  Le roi a des relations plus que tendues avec son ancien précepteur, Gerbert d’Aurillac, devenu entre temps pape sous le nom de Sylvestre II, qui a failli l’excommunier à cause de son mariage avec sa petite cousine Berthe de Bourgogne. Sous la pression, il est obligé de la répudier en 1001 après qu’elle ait accouché d’un enfant mort-né. Constance de caractère peu commode, est cruelle, intrigante et avare ; c’est elle qui tient les cordons de la bourse royale. Les donations aux ordres religieux eurent directement à souffrir de cette mésentente et de cette avarice. Robert continue de voir Berthe en secret alors que Constance intrigue pour faire monter sur le trône son second fils Robert au détriment d’Henri Ier qu’elle déteste. L’argent revient, petit à petit, sous forme de donations aux abbayes après la mort de celle-ci en 1032, grâce à Henri Ier, qui a fait la paix avec son frère, et qui reprend peu à peu la politique d’aide aux communautés monastiques, mais surtout sous Philippe Ier et Louis VI le Gros, afin de consolider leurs appuis et leurs soutiens dans un royaume bien faible face aux grands vassaux que sont les ducs de Bourgogne, de Normandie qui a des terres en Aquitaine, et le comte de Flandres.

Le monde occidental connait alors une grande ferveur religieuse, qui se traduit par la création de nombreux monastères. Parallèlement au clergé séculier, bien hiérarchisé, trois ordres anciens, mais ce ne sont pas les plus vieux (Basiliens, par exemple) dominent la spiritualité chrétienne. Ce sont d’abord les Bénédictins, ordre auquel appartient l’abbaye de Gaillac, congrégation fondée par saint Benoît  en 529, sur le mont Cassin (Monte Cassino) en Italie, dont la règle est ora et labora, prie et travaille. 
Puis les Clunisiens, en réaction aux Bénédictins, dont les mœurs se relâchent (ils prient de moins en moins et font travailler les autres de plus en plus) est fondée au début du Xe siècle, tout en conservant la règle de saint Benoît, avec une organisation différente : il n’y a qu’une seule abbaye-mère (Cluny) et toutes les affiliations portent le titre de prieuré.
Enfin, arrive plus tardivement, à partir de 1098, et toujours en réaction aux Bénédictins d’origines, les Cisterciens (Cîteaux, Clairvaux) caractérisés par une grande rigueur tant religieuse que dans l’austérité de leurs constructions. Ils sont peu implantés dans le Tarn, avec une seule abbaye entre Castres et Mazamet et une autre à Beaulieu-en-Rouergue dans le Tarn-et-Garonne, fondée en 1144.

La dédicace

Le prieuré reprend la titulature à saint Michel de l’abbaye-mère de Gaillac. C’est un archange très vénéré au Moyen Âge dans toute la France, au même titre que Marie ou Martin. Défenseur de l’ordre et de la morale, il terrasse les forces maléfiques de Satan, représentées sous la forme du dragon. Sa représentation la plus connue est celle de la sculpture qui domine la flèche du Mont Saint-Michel en Normandie.

Localisation du prieuré

De cette église prieurale, tout ce que l’on voit en pierre apparente est d’origine (sauf les moellons changés bien sûr). La brique, introduite couramment à partir des XIV/XVe siècles dans les édifices, correspond à des phases de reconstructions ou de réparations postérieures.  Ce lieu de culte n’est que la partie subsistante d’un prieuré qui a accueilli au moins une dizaine de moines selon les sources écrites, ce qui sous-entend une cinquantaine de personnes à loger (frères lais, convers, serviteurs, serfs, etc.). Les historiens d’art voient tous ces bâtiments fonctionnels (dortoir, cloître, cuisines, réfectoire, infirmerie, grange, écurie, etc.), dont plus rien ne subsiste en élévation, situés au nord de l’église. Pour notre part, en l’absence de fouilles archéologiques, nous serons d’une très prudente réserve puisque, en général, l’implantation des bâtiments se fait du côté sud/sud-ouest (Saint-Salvi d’Albi, Saint-Michel de Gaillac, Beaulieu, pour ne citer que les plus proches de chez nous) et ici, plus particulièrement, près de la rivière où devait exister une infrastructure portuaire, destinée à exporter les productions agricoles du prieuré (fig. 1). À l’appui de cette hypothèse, notre ami et collègue Henri Prat, que nous remercions, nous fournit un document écrit – GRAULE, 1895 (1) – que nous citons : … Enfin, pour confirmer encore les preuves que nous venons de citer (- la présence du prieuré -), nous présentons l’existence de fondements de cet ancien prieuré que nous venons de découvrir tout auprès de l‘église Saint-Michel. En creusant dans le cimetière pour faire un caveau familial, on a trouvé à 1,50 m, des murailles de 0,90 m d’épaisseur, construites en pierres et briques. La direction de ces murs va du nord au midi, remonte vers l’est pour revenir vers le nord en partie ; elles auraient enclavé presqu’entièrement l’église. Cette disposition du prieuré monastique nous explique aujourd’hui parfaitement les deux portes latérales qui se voient encore fermées en maçonnerie, mais qui indiquent une communication naturelle entre l’église et le prieuré. Ces deux portes, citées par Henri Graule, sont encore visibles depuis l’intérieur de l’église dans le mur gouttereau sud. L’ouverture, dans le croisillon sud, ne se voit plus à l’extérieur, masquée par les travaux de restauration de la fin du XIXe siècle (fig. 2). En revanche, la seconde issue reste bien présente.

L’église

C’est un édifice parfaitement orienté, dominé par une tour centrale carrée et trapue, autour de laquelle s’articulent les divers éléments de l’église (fig. 3). La construction, si les fondations de la tour-clocher et du chœur sont les plus anciennes — mais seules des fouilles pourraient le prouver — a débuté à l’est par une abside semi-circulaire percée de trois fenêtres. Ensuite le transept et la nef ont été construits.  Nous sommes donc en présence d’une église cruciforme à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle. L’argent étant revenu, les moines décident d’agrandir mais surtout d’enrichir la décoration de l’édifice, d’abord en voûtant la nef et en la confortant par des bas-côtés qui servent de contreforts et d’une coupole centrale sur trompe. La construction, mal maîtrisée au niveau du voûtement, s’effondre sous le clocher central, puis dans la nef (fig. 3, centre). Elle ne sera pas reconstruite mais remplacée par une charpente de bois. En revanche, le portail qui ne subit pas de contraintes architecturales résiste à l’épreuve du temps (fig. 3 – 3 et 4).

L’architecture extérieure

Nous pouvons nous rendre compte des différentes étapes de construction en comparant la forme des fenêtres des croisillons à celle du bas-côté nord, plus récente. À notre avis, la porte s’ouvrant sur le côté nord correspond sans aucun doute à la « porte des morts » et non à une issue donnant sur les bâtiments prieuraux (fig. 3 – 1).
L’extérieur de l’abside est un morceau de bravoure. Semi hémisphérique, en pierres disposées en moyen appareil régulier, elle est confortée par quatre contreforts plats régulièrement espacés entre lesquels sont disposées trois fenêtres plein cintre. Sous la toiture en tuiles canal court une corniche composée de quatre rangs de billettes disposées en nids d’abeilles, supportée par des modillons sculptés, plus originaux les uns que les autres (fig. 5). 

Si on ne possède pas la clé de la thématique de ces sculptures, il est pratiquement impossible de savoir à quoi elles correspondent. C’est de tradition que les maîtres d’œuvre laissaient aux sculpteurs la liberté  de représenter ce qu’ils voulaient sur les modillons. Un chapiteau à godrons, du côté sud-est, qui n’apparaît pas dans la sculpture religieuse avant les années 1080 en Normandie (abbaye aux Dames, Caen), permet d’avancer que la seconde campagne de construction semble impossible à débuter avant cette date (fig. 1 – 2 et fig. 6).

Une porte obturée, sur le côté sud, laisse supposer qu’elle devait correspondre à la « porte des matines » (voir plus haut, le prieuré et fig. 1), permettant aux moines de se rendre dans l’église depuis leur dortoir pour aller prier.

Le portail

Autre œuvre magistrale, le portail tout en pierre, inspiré par celui de Saint-Sernin de Toulouse selon les historiens d’art anciens, mais pas copié, est disposé sur une avancée de trois marches (fig. 3 – 3).  Pour notre part, nous pensons qu’il faut nuancer le propos. Il s’agit d’une œuvre à classer typologiquement parmi les portails sous auvents, comme Saint-Sernin. La comparaison s’arrête là. L’auvent, à un seul versant, sous lequel se distingue une rangée de douze modillons, en alternance avec onze disques solaires verticaux et onze rosaces horizontales, très différent à ce que l’on voit à Toulouse, le protège des intempéries.
À gauche, à droite et au-dessus de la première voussure formée de nids d’abeilles et  de billettes arrondies, figurent trois chrismes (fig. 4 et 7) rappelant l’attachement régional aux vieilles valeurs chrétiennes (2). Dans l’ébrasement, trois voussures plein cintre, richement décorées, encadrent le portail en bois à deux battants. Ces voussures sont soutenues par trois colonnes engagées de chaque côté, surmontées d’un tailloir continu décoré et de chapiteaux sculptés puis des deux piédroits de l’entrée. La sculpture des chapiteaux fait appel aux thèmes classiques du catalogue religieux et au bestiaire de l’Antiquité.  De gauche à droite, nous pouvons voir l’enfer, la tentation, le sacrifice d’Abraham (fig. 8) puis le riche et le pauvre Lazare, l’usurier et la femme dépravée.

L’intérieur

Lors qu’on entre dans l’édifice, on constate qu’il a été restauré avec soin. Ce sont d’abord les arcs doubleaux de l’ancienne voûte qui attirent l’attention. Ils retombent sur des piles  à colonnes engagées au sommet desquelles se trouvent de magnifiques chapiteaux sculptés surmontés d’un tailloir biseauté (fig. 9 à 11). Les thèmes de ces chapiteaux reprennent le vocabulaire de l’Ancien Testament mais on peut y voir aussi un emprunt à l’Égypte ancienne et à L’Antiquité avec les feuilles d’eau, de palmiers, d’acanthes ainsi qu’au bestiaire issu de l’imaginaire. Indiscutablement, une coupole a existée à la croisée du transept, puisque les quatre trompes qui la soutenaient sont encore visibles (fig. 1, centre). Dans le mur gouttereau nord, la porte, très large, permet à deux personnes de sortir de front dans le cas où plusieurs d’entre-elles porteraient un cercueil. Dans le gouttereau méridional, à hauteur d’où se trouvait l’autel de Vierge, le passage obturé, devait correspondre, en principe, à l’issue communiquant avec la sacristie et la salle du trésor (fig. 2 et 3). L’autre, encore visible, à la porte des matines. Mais cela demande à être précisé par un plan des lieux… si on le retrouve un jour !

La restauration intérieure a mis au jour toute une série de fresques, en particulier dans le chœur en cul de four, où les motifs floraux dominent (fig. 12). Malgré un aspect archaïque, ces œuvres ne sont pas plus ancienne que le XVIe siècle, plutôt même faut-il les dater du XVIIe siècle si on les compare à ce qui existe à la cathédrale d’Albi (3).

Notes 

(1) – GRAULE Henri (1895), Histoire de Lescure, réédition 2010, Kessinger Publishing, USA, 784 pages
(2) – Le chrisme, formé des lettres grecques X et P (chrestos) rappelle le monogramme que Constantin fit porter à ses soldats, en leur disant que ce signe leur apporterait la victoire avant la bataille du pont Milvius en 312 (in hoc signo – par ce signe… tu vaincras, IHS). Souvent le chrisme est accompagné des lettres alpha et oméga, symbolisant le début et la fin de l’existence.
Plus tard ces trois lettres furent reprisent par l’ordre des Jésuites avec une signification différente : Inri ou Iesus Hominum Salvator.
 (3) – Voir à ce sujet, les travaux d’Élise et Pierrette Bergès.

Bibliographie sommaire

BIGET Jean-Louis, BRU Henri & BARRÈS Alain (1982) – L’art roman en Albigeois, Association pour la sauvegarde du vieil Alby, exposition 1982

DURLIAT Marcel (1962) –  Les chapiteaux et le portail de Saint-Michel de Lescure, Cahier de civilisation médiévale, vol. 5, n° 20

GRAULE Henri (1895) – Histoire de Lescure, réédition 2010, Kessinger Publishing, USA, 784 pages

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