La désertion de Jules Cyprien Malié
Par Frank TAYAC
Croix en fer forgé, plantée sur un bloc rocheux quartzeux au carrefour de la D 143 et d’ un vieux chemin entre le hameau des Longanhes et celui du Puech. Cette croix a été posée vraisemblablement en 1971. Son érection est une conséquence de la Première Guerre mondiale.
Nous sommes en 1884 au lieu-dit Le Puech, modeste hameau de la commune de Brousse-Le- Château dans l’Aveyron. C’est là que naît un jour d’automne, Jules Cyprien Malié, fils de Jean-Louis Malié et de Marie Delfau. Il est le second enfant d’une fratrie de sept. Lorsque débute la Première Guerre mondiale, Jules est mobilisé et rejoint le 27° Bataillon de Chasseurs à Pieds. Blessé le 29 août 1916, il retourne au combat le 16 décembre de la même année. L’année 1916 est terrible pour la famille: un de ses frères, Marin, est blessé. Un autre, Eugène, est fait prisonnier. Un autre encore, Joseph, meurt à Landrecourt à proximité de Verdun.
Se cramponner à la vie
C’est là un tournant dans sa vie de soldat: plus jamais il ne retounera au front. Le traumatisme est trop fort. Profitant des mesures mises en place par celui qui deviendra le Maréchal Pétain pour permettre d’adoucir la vie des soldats, Jules retourne au Puech à l’occasion d‘une permission. Il prend la décision de rentrer dans la clandestinité et de ne pas revenir au front; il devient déserteur. Ainsi en témoigne son matricule.
Du 6 avril 1917 au 19 mars 1919, durant plus de deux ans, il va vivre caché non loin du ruisseau du Genras dans un renfoncement de rocher, exposé plein nord. Les bois du Travers, proches de la Vincenterie, lui servent de refuge. Il fait comme il peut pour ne croiser personne.
Une petite lueur sur la montagne
Il faut la jouer serrée et survivre à tout prix. Dans son aventure solitaire, Jules peut compter sur sa mère. Elle va le fournir en vivres, boissons et vêtements durant ces années. Au crépuscule, elle annonce que la voie est libre en agitant une lampe à pétrole sur le rocher où se trouve actuellement la croix. Jules peut ainsi sans risque gagner la maison.
La mémoire familiale est bercée d’anecdoctes. Une fois, pour échapper aux gendarmes, le voilà obligé de se cacher dans un tronc d’arbre couché dans le ruisseau. Il gagna certes quelques rhumanismes mais il s’épargna la grande boucherie du Chemin des Dames et la peine de mort.
Fuir l’opprobre
Il faut attendre enfin 1921 pour que Jules se livre sans risque aux autorités militaires suite aux lois d’amnistie. Il vient jusqu’à la Gendarmerie d’Albi pour le faire. Craint-il pour son honneur et celui des siens pour être venu se constituer prisonnier si loin de chez lui ? C’est fort possible.
Jules sera finalement amnistié en vertu de la loi du 3 janvier 1925. Il reprendra une vie “normale” avec sa femme qu’il avait épousée en 1912. Tous les deux quittent l’Aveyron pour le Tarn, à Lescure d’Albigeois où ils élevèrent leurs enfants.
Le poids des souvenirs
Mais l’histoire n’est pas finie.
Marqué à jamais par cette expérience, Jules prend au soir de sa vie la décison de planter une croix récupérée à Lescure au Puech, sur le rocher où sa mère lui faisait des signaux comme un hommage à la ténacité maternelle.
La mort le surprend avant qu’il n’ait pu mener à bien son entreprise en 1970, à l’âge vénérable de 86 ans. C’est un proche neveu, Jules Bru du hameau des Longanhes, qui accomplira sa dernière volonté. Cent ans après, cette croix témoigne de cette dramatique épreuve humaine, familiale et historique.
Une belle et triste histoire d’un homme courageux au regard résolu . Merci à F Tayac d’en perpétuer le souvenir .
beau, concis et émouvant témoignage, dont témoigne une croix chrétienne : merci pour cette mémoire, en ce temps présent de mépris et d’oubli pour les paysans « sacrifiés » par milliers et non pas morts en héros, comme une mémoire officielle, biaisée et trompeuse, a voulu le faire croire si longtemps!