Tanus : l’ancien prieuré et le pont de Las Planques
Accueillis par Max Assié, une marche s’avère nécessaire jusqu’au bâtiment. Nous parcourons ensemble le site et l’observons sous des angles différents. Reprendre les propos tenus par Max n’aurait guère de sens tant il est précis et riche d’anecdotes dans son ouvrage (1).
Le lire semble la solution encore la plus simple pour se donner une idée de ce joyau de notre patrimoine. Bien évidemment, l’ouvrage ne se passe pas de commentaires, et particulièrement la période de l’origine du bâtiment. C’est la plus compliquée. Période sur laquelle nous allons nous arrêter.
Oui ou non un castelas?
L’histoire est connue. On sait(2) que Didon d’Andouque, possesseur des lieux avec ses cousins(3) reçoit la visite d’un clerc albigeois dit « Déodat » en 1062. Celui-ci lui achète l’église et les terres attenantes pour les remettre peu après à l’une des premières abbaye bénédictine de la région. Nous voulons parler de Sainte-Foy de Conques. Ce n’est pas franchement une donation mais une vente dont les historiens locaux soupçonnent des clauses qui ne nous sont pas parvenues(4).
Ce type de cession est courant au XIe siècle. Il participe d’un même grand mouvement. Celui de la mise en place en Rouergue et en Albigeois de réseaux de « sauvetés » et de « prieurés » au service de grandes abbayes que sont Conques ou Saint-Victor à Marseille (5). Pour ne parler que des plus importantes avant l’ascension des ordres chevaliers.
Abbayes en concurrence d’ailleurs pour un guet, pour un pont, pour une route, un carrefour. Durant le siècle des dizaines de chantier sont ouverts pour créer de nouveaux bâtiments de culte. On assiste à une véritable colonisation religieuse des espaces encore sauvages. Après avoir été un enjeu de guerre entre les seigneurs, ils le sont entre les religieux.
Est-ce que le prieuré fut le premier pôle d’attraction ? A-t-il été construit à partir de rien ? Pas sûr. Les moines auraient-ils « hérité » d’une chapelle accolée à un castelas possession des Andouque ? C’est la proposition de Louis Malet (6).
À l’appui de la thèse quelques traces archéologiques comme un fossé sec au bas de l’escalier, des aménagements creusés dans la roche mais surtout un site tout ce qu’il y a d’ idéal au-dessus d’un gué pour contrôler, rançonner, surveiller, dominer.
Qu’en dire, suite à cette visite ? Il est peu probable au vu du bâti que la construction actuelle ne soit pas toute entière d’origine romane. Il est peu probable aussi qu’elle soit le fruit d’un remaniement de quelque bâtiment préexistant tant son plan révèle une grande cohérence(7) et correspond aux standards régionaux. Cependant, il est indubitable que des habitats et des aménagements excavés aient existé. Ils sont perceptibles au nord de l’édifice autour d’un promontoire rocheux dans la droite ligne de ce que nous connaissons ailleurs. Savoir si ils sont révélateurs d’un castelas est difficile sans un sondage ou, au moins, un débroussaillage de la parcelle.
Par ailleurs, la tranchée de défense au sud ne fait pas de doute à nos yeux. D’une dizaine de mètres de large, un fossé sec servait à isoler le promontoire au midi, promontoire stratégiquement fragile. De par ses dimensions, ce fossé est typique de ce que nous connaissons à Fontrenard, à Ambialet ou même à La Roque. Cette tranchée n’a pas de raison géologique et des points d’impact, typiques de creusement, sont visibles si on prête attention à la roche
Quelle a été la durée de vie du fort en question ? À quand remonte sa disparition ? Existe–t-il encore quand fin XIVe siècle (1382) le capitaine Le Bascot dit « Mauléon » s’empare de la « place forte » et y reste presque trois années durant aux dépens des habitants ? Comme il n’est pas rare, les routiers modifient-ils le plan des lieux pour assurer leurs arrières ? Creusent-t-ils à l’occasion la tranchée ? L’hypothèse n’est pas, non plus, à écarter.
Et puis l’église en elle-même, jusqu’à quel point a-t-elle joué véritablement le rôle aussi du château comme le pense Victor Allègre qui voit dans la tour-donjon un nouveau fort à partir de la fin du XIe siècle.
Une vingtaine de maisons au XIVe siècle
Accompagnent l’église des maisons. Elles s’étagent le long de l’arête rocheuse à l’aplomb du méandre durant plusieurs siècles. Les cartes postales que nous montre Max en témoignent. Elles présentent souvent un étage et portaient des lauzes sur les toits aujourd’hui à terre.
Face à l’attrait que constitue le plateau, le village ne peut rien faire. C’est une lente agonie.
Les épidémies du XVIIe siècle, les lourds impératifs d’entretien que constitue la pente entraînent une baisse irrégulière mais inévitable du nombre des habitants. Le dernier y est enterré en 1917. Il s’appelait François Bardy. Ne survivent actuellement que des ruines. Celle du presbytère par exemple avant l’accès au grand escalier. Celle d’un puits aussi(8).
Tant pis aussi pour l’église. Las Planques était un prieuré, réduit ensuite à une simple église. À partir du XIXe siècle on ne parle plus de Las Planques que comme une « chapelle », une église qui aurait perdu sa paroisse(9). Avant même la première guerre, elle est à l’état de ruine.
De plus en plus rares sont ceux qui empruntent le pont de planches.
Un ensemble architectural cohérent
C’est tant mieux ; le bâtiment cultuel a fait l’objet de nombreuses descriptions savantes sur lesquelles nous n’avons pas légitimité à revenir(10). Selon toutes vraisemblances, il a peu subi de reconstruction. Exceptées les voûtes et la toiture(11). Il n’est peut être pas une donnée brute de l’art roman mais présente une belle cohérence de ce qui se fait à l’époque dans la région : Albigeois comme Rouergue.
Elle rappelle l’église de Perse que nous avons visité à Espalion, il n’y a pas si longtemps et bien sûr celle d’Ambialet, construite, sans doute, un peu avant(12).
On aborde l’église et son clocher par le sud en grimpant un grand escalier bâti.
Elle est épaulée par d’énormes contreforts qui lui donnent l’allure d’une forteresse. Avec un clocher donjon. L’église fait corps avec le roc qui participe de la construction. On le voit bien à l’intérieur.
Trois bandes lombardes se détachent au chevet de l’église et lui donne une certaine grâce.
Bandes lombardes typiques du premier art roman méridional.
À l’intérieur, à la différence de Conques, le plan ne comporte pas de transept. La nef et les bas-côté sont suivis de l’abside et de deux absidioles en cul-de-four. Les voûtes et les croisées ont fait l’objet de reconstructions comme nous l’avons souligné toute à l’heure.
Si quelque chose étonne, c’est bien la pauvreté de la décoration. La simplicité partout a prévalu. Pas d’entrelacs sur les chapiteaux par exemple comme il est tellement courant en Rouergue.Tout est fruste et froid. Comme si les sculpteurs ne s’étaient pas déplacés
Les arcades en plein cintre qui séparent les travées du vaisseau central et les bas-côté, retombent sur des pils cruciformes. Elles sont assises comme à Conques sur des socles circulaires maçonnés.
Il y a une grande unité dans les matériaux utilisés et peu de trace de reprises. Comme pour le village, les gneiss et les schistes dont nous avons peut–être localisé une carrière sont à l’honneur. Peu de pierre de taille visible mais des blocs allongés juste équarris, mal joints à assise presque régulière.
Ce choix laisse place à peu de variantes y compris pour le dallage en grande plaque de schiste qui existe au moins depuis le passage de Charles Le Goux de La Berchère qui évoque un « carrelage » de pierre début XVIIIe siècle.
Trois baies assurent l’éclairage du choeur.
Autres éléments à prendre en compte
Une portion de tombe rupestre au sein de l’ancien cimetière – sur le haut – frappe l’attention. C’est une logette céphalique. Elle est orientée : tête à l’ouest et corps à l’est. Il est fort probable que d’autres tombes du même type aient disparu lors de ceusement d’un chenal d‘écoulement postérieur.
Une portion de tombe rupestre au sein de l’ancien cimetière – sur le haut – frappe l’attention. C’est une logette céphalique. Elle est orientée : tête à l’ouest et corps à l’est. Il est fort probable que d’autres tombes du même type aient disparu lors de ceusement d’un chenal d‘écoulement postérieur.
Au sud, en contre-bas de l’église, Max nous montre la fontaine du Coulet censée guérir les maladies des yeux et de la peau. Elle fut l’objet de dévotions variées.
Max Assié évoque pour finir l’existence du pont et d’un moulin sur la rive gauche du Viaur encore visible à l’époque d’Edmont Cabié. Nous nous rendons sur les lieux pour localiser l’ancien moulin à présent englouti.
Nous rentrons aussi comblés que fatigués.
Nous remercions bien sûr Max Assié pour sa description aussi érudite que passionnée.
Notes
(1) Max Assié, La chapelle de Las Planques, Grand Sud, 2014
(2) Si l’on en croit les historiens qui se sont penchés sur le Cartulaire de Conques.
(3) Au Haut Moyen Âge le village porte le nom de « Belmont ». Au XIe siècle, le prieuré s’appelera d’abord Notre Dame de Belmont. Il est annexé à la précentorie du monastère, la cure était à la présentation du prieur. Il commande une paroisse. Ce n’est que plus tard que l’église portera le nom le nom de « Las Planque » en référence à la passerelle qui enjambe le Viaur un peu plus bas.
(4) Une bulle papale en confirme la transaction en 1153. Dans le balance, il y a fort à parier l’éducation du seul fils de Didon, Pierre qui deviendra un membre imminent de la curie.
(5) C’est le grand mouvement de la réforme grégorienne en Albigeois.
(6) Nous suivons les propos tenus par Louis dans Archéologie Tarnaise n° 13, p. 86
(7) Encore reste-il à vérifier l’intérieur du clocher qui a subi des rénovations successives.
(8) Des tentatives de classement ont eu lieu pour le village sans réussite. Les parcelles appartiennent à différents propriétaires. Ce qui rend la tâche compliquée. Une politique de rachat systèmatique aurait-elle des chances d’aboutir?
(9) Titre perdu à la Révolution au profit de Fournials.
(10) On peut compter sur Victor Allègre, L’art roman dans la région de l’albigeois, Albi, 1943 et Marcel Durliat, Haut-Languedoc roman, Zodiaque, 1978
(11) Elle s’effondre carrément entre 1885 et 1887. L’idée court un temps de détruire l’église pour consolider le pont. Edmont Cabié s’en offusque. L’église est classée en 1913 et restaurée durant la guerre dans des conditions difficiles nous raconte Max. Encore aujourd’hui le toit n’est pas étanche et entraîne la présence de flaques suite à des ruissellements. Une campagne de recherche de financement arrive à bout.
(12) Ambialet a subi davantage de « modernisation »post-romanes.
À lire pour plus de précisions (disponible à la bibliothèque du CAPA).