Caves et silos à Lautrec

Localisation précise des silos découverts à Lautrec. Il est certain que tous n’ont pas été mis au jour. Plan extrait d’Archéologie Tarnaise n°15. Article de Jacques Mathieu

En retard, nous sommes reçus par Jacques Mathieu à Lautrec dans le local du GERAHL (1)où des travaux de restauration ont lieu. Il est situé idéalement rue du Mercadial dans l’ancien couvent des religieuses de l’Ordre de Sainte-Claire. Des Bénédictines s’y installèrent au XVIIe siècle avec l’aval de Louis XIV sous le vocable de « l’Annonciation ».

Elles faisaient œuvre d’éducation pour les jeunes filles de bonne famille. À la Révolution le couvent devient propriété de la commune qui y établit la mairie. Jacques nous présente la salle d’expo et un local de conservation des collections du GERALH aux normes les plus actuelles.

Dans les sous-sol du couvent

Après l’observation d’une arche de pierre en arc brisé en sous-sol (2), nous visitons une partie des caves du grand bâtiment des Bénédictines. Inondé depuis 1955, une opération laborieuse de pompage a été effectuée. Les investigations menées par le GERAHL et des jeunes du village ont permis d’éclairer la présence de plusieurs silos dont l’un a été rempli par l’eau récemment (3).

Une partie de la cave sous une arche a été complètement dégagée. On peut à présent observer les assises sur roche qui servent de fondations aux bâtiments. Jacques évoque un agrandissement de la rue au-dessus.

C’est l’occasion de préciser que Lautrec est construit – pour une part – sur des bancs calcaires (4). Ils constituent le substrat. Juste en dessous des couches gréseuses aquifères retiennent plus ou moins les eaux souterraines. Tout l’art des habitants consiste à capter cette eau grâce à des puits, très nombreux à Lautrec. On le constatera à plusieurs reprises ce jour-là.

Des traces de l’incendie de 1848 sont révélées par la présence à 30 cm de profondeur d’une poutre calcinée et d’une couche noircie. D’autres signes témoignent de la catastrophe comme les bois de charpente.

Peu après, il nous présente un support de voûte dont il évoque la légère asymétrie (5).

Deux « ruches » sont posées dans un couloir de la cave. Elles consistent en une sorte de panier tressé recouvert de terre séchée (6).

Comme nous le remarquons, le lieu fait l’objet d’initiation à la fouille archéologique pour le jeune public.

Nous poursuivons notre visite .Au programme, la cave située à l’ouest du salon de coiffure. Nous remarquons que des portions de ruelles ont été privatisées avec le temps. La trame des rues est légèrement modifiée. Les voies ont gagné en largeur bien sûr.

Nous nous rendons maintenant à l’ouest du village à proximité des remparts vers la porte de la Caussade.

Des silos en veux-tu en voilà

Deux espaces accueillent des silos visibles en bon état de conservation (7).

Le premier est localisé dans la cave de la maison Leblanc ou pas moins de 28 silos ont fait l’objet d’une redécouverte suite à un déblaiement achevé en 2011. 

Nous accédons à la cave par un escalier en béton. En déblayant les remblais pour gagner le sol d’origine sont apparus les silos. Avec eux, des aménagements de surface sous la forme de trous de poteaux, de saignées. Y-avait-il une sorte de plancher à l’époque des silos ? Il y a tout lieu de le croire.

La deuxième aire d’ensilage est l’espace dit de la Caussade. Lors de la destruction de maisons, il y a 25 ans, on a mis au jour des dizaines de silos. Ceux-ci ont été moins étudiés que ceux de la maison Leblanc. L’endroit – que l’on peut voir derrière une grille – prend aujourd’hui la forme d’un dédale souterrain où s’enchevêtrent les structures ; un vrai gruyère. 

Les silos en sous sol après nettoyage dans la maison Leblanc

Pour creuser un silo

Jacques dresse pour nous l’état des recherches. Qu’on les appelle « creux », « sièges » ou même les « crus », les silos servent à accueillir le grain battu bien vanné. La pratique est ancienne. Elle remonte probablement au Néolithique.

Le « creuseur » façonnent une excavation en forme de grosse bonbonne à fond plat autour de 2 m3(8) avec une ouverture étroite sur le haut, un goulot. La fosse, une fois creusée, est remplie à ras bord.

Elle est, ensuite, bouchée par un opercule en forme de meule inséré dans une feuillure. On scelle le plus hermétiquement possible la feuillure avec de la paille mélangée à de l’argile.

Parfois, entre deux silos, côte à côte, l’épaisseur est mince. L’usure fragilise la paroi au point de la craquer. Aussi, observe-t-on des traces de colmatage. Autrement dit, après une première utilisation, c’est reparti pour un tour… À la différence des amphores – moyen de stockage antique – les silos étaient entretenus et réparés.

La réaction est simple. Dans un premier temps, l’oxygène encore contenu pourrit les grains mais juste ceux du bord de la paroi. Dans un deuxième temps, la création d’acide carbonique suite au pourrissement rend le silo anaérobique et extermine les parasites.

Réaction chimique en milieu confiné

Ensuite, c’est une phase de « dormance » qui a lieu. Elle peut durer jusqu’à trois ans. Les archives le prouvent. Aussi difficile que cela puisse paraître, les céréales, à l’abri de l’air, ni ne fermentent, ni ne germent mais gardent toutes leurs qualités nutritives (9). Le GERHAL, à son tour, tente l’expérience comme vous pouvez le constater ci-dessous (10).

Silo bouché à des fins expérimentales par le GERALH

Des silos et des hommes

On calcule – avec toutes les précautions qui s’imposent en la matière – qu’un silo pouvait nourrir une famille de quatre personnes durant un an (11). À part quelques exceptions, les silos lautrecois semblent fonctionner « en batterie ». Alignés de part et d’autres des rues commerçantes, à proximité des portes principales du bourg, ils sont installés sur plusieurs niveaux comme le montre ce dessin.

Schéma du positionnement des silos sous les encorbellements des maisons. Extrait de AT 15 p. 112

Juste devant les maisons, à l’abri des encorbellements, on entrevoit l’intérêt de ces réservoirs. Discrets plus que secrets, ils sont une question survie en cas de mauvaise récolte. Mais comme le souligne Samuel Montagne (12), les silos sont surtout un outil de spéculation au XVIe siècle avec la vente au prix fort des denrées au moment où elles manquent le plus. 

Les silos prouvent en tout cas des échanges avec l’extérieur de la communauté car une fois ouvert, le contenu doit être consommé dans de brefs délais. Le silo n’est pas un garde-manger.

Samuel Montagne montra aussi que les silos n’appartenaient pas forcément au propriétaire de la maison. Ils s’achetaient, se louaient, se transmettait de père en fils sur des générations.

Reste en suspens la question de leurs origines avant le XVe siècle en milieu villageois mais aussi le pourquoi de leur disgrâce à partir du XVIIIe siècle. 

Au passage, chemin faisant, s’offrent au regard des traces de colombage de types différents. Sous un plâtrage, l’ossature bois est sculptée. Le hourdage est en brique, tuiles, terre séchée. La maison remonte dans sa conception au XVIIe siècle.

Un colombage sous le plâtre.

Toujours sous la conduite de notre hôte, nous nous rendons plus à l’ouest de la ville par la rue de Lengouzy afin d’observer de plus près les restes des anciens remparts. Remparts aujourd’hui invisibles car détruits ou imbriqués dans le bâti. Remparts avec un « s » car ils correspondent à deux générations différentes de construction. La première courant la guerre de Cent Ans au XIVe siècle, la deuxième courant XVIe siècle lors des guerres de Religions. À l’ouest, dans une cave, nous est montrée une base de courtine. Sa mise au jour résulte d’un creusement du propriétaire. Un puits – encore en eau – est visible entre deux contreforts. Il semble à l’extérieur du premier rempart.

Le puits devant les restes de courtine.

Une « portanelle » (ou poterne) à usage des piétons qui gagnaient les jardins est visible. Le bâti dans ses usages et ses constructions successives suscite  d’innombrables questions auxquelles il est mal commode de répondre sans un relevé précis.

Pour terminer une autre cave  de la rue nous est présentée où une arche plein cintre est visible.

Nous adressons nos remerciements et notre gratitude à Jacques pour son accueil et ses commentaires.

Notes

(1) Groupe d’Etude et de Recherche Archéologique et Historique du Lautrecois

(2) Dans une ruelle en cul- de- sac aujourd’hui, perpendiculaire à  la rue de la Rodé. Une arche maçonnée flanquée de deux piles est définie comme tel dans des archives notariales : « le pont ». Ce pont marquait le passage d’une ancienne ruelle.

(3) Pendant un creusement, le sol s’est effondré sous les pieds d’un malheureux membre du GERAHL pour ainsi dire « avalé » par un silo en eau. Rassurons-nous, tout s’est bien terminé.

(4) De l’Eocène entre 30 et 60 millions d’années.

(5) Le calcul des voûtes ne se développe que tardivement à la fin du XVIIIe. Jusque- là l’élévation reste très largement empirique. Elle est une affaire d’expérience. Le « feeling » disait-on à une époque. Le ressenti.

(6) Tout au moins identifiées comme telles. Ruches? Ces deux éléments patrimoniaux nous interpellent à vrai dire. Il convient de les conserver.

(7) Mais aussi ceux disparus de la rue Mercadial dont l’alignement est remarquable. 

(8) Je renvoie les amateurs à l’excellent article de Jacques dans AT 15 pour une explication du choix de la forme et des outils de creusement ainsi que de leurs traces. 

(9) Et même germinatives.

(10) En attendant celle du creusement, plus compliqué à notre avis.

(11) On apprécie ainsi la valeur du contenu mieux qu’avec de l’argent.

(12) Le GERAHL a constitué un dossier épais sur le sujet. Un étudiant, Samuel Montagne, a fait part de ses réflexions à la lueur des archives d’actes notariés lors d’un colloque à Toulouse.

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