Vue sud du bâtiment en mai 2018. Photo du drone de 2B Pixel.
Premier relevé des ruines des bâtiments castraux signé Louis Brieussel autour de 1923. À vous de juger de la pertinence du savant. Attention l’orientation nord-sud n’est pas conforme à la réalité. la Source: BSSABLT, Tome I, 1921, p. 199-206
Beau relevé topographique effectué en 2017 par Julien Pech. En haut, au nord, le dispositif du castrum; en bas sur la berge le pont, le moulin et ses annexes dont le plan du bâti a été relevé par l’agence Sunmetron.

À La Bastide des Vassals

Actuellement une mise en valeur des lieux est prévue par le propriétaire. Vous êtes invités pour participer à ce projet sur https://dartagnans.fr/fr/projects/sauvons-un-hameau-medieval/campaign

De beaux restes pour écrire l’histoire

Sur le plan archéologique, cette mise en valeur passe bien sûr par un travail d’observation du bâti existant (1). Entre autres, le CDAT, auquel le CAPA s’associe, mèneront des recherches au sujet du château.

Elles prendront la forme d’une enquête aux archives et d’un suivi de chantier pour cette année et les années qui viennent.

Un pont, un four, un moulin sous la prééminence d’un château dans un petit périmètre, quoi de mieux pour parler de la seigneurie. 

S’y ajoute – beaucoup plus discrète – mais néanmoins indiscutable, la trace d’habitats à des époques variées avant le délabrement paysager. Des communautés ont vécu ici. Apparemment, l’homme n’a pas ménagé ses efforts pour cultiver la pente et drainer le bas-fond.

Aux sources de l’histoire: la bastide d’en Coia

Dans les années 80, pour André Soutou, le site actuelle portait le nom de Bastide d’En Coia Il apparait  en dansune donation, celle du Cartulaire de la Commanderie des Templiers de la Selve(2).

Avec l’aide experte de l’abbé Nègre, il relativise les orthographies et quelques points de grammaire pour dresser une carte de notre région à partir du cartulaire en question.

Par ailleurs, il défend l’idée que le terme de bastide utilisé à une époque précoce ne signifie pas encore une ville nouvelle mais un établissement sur une colline(3).

A priori, il n’y pas de raison de mettre en doute ses propos.

La Bastide des Vassal 

Reste que pour le première fois le lieu de « bastide des vassals » apparait en 1260  au détour d’une charte énumérant les possessions des comtes de Toulouse :  » Moi, P. Vassal, chevalier, fils de Bertrand Vassal et moi P. Vassal chevalier et fils d’Amblard Vassal  reconnaissons en nos terres notre bastide avec son territoire qui est en la paroisse de Caussanel du diocèse d’Albi « (4).

Ces Vassals(5), Pierre, Guillaume, Pons, Vassal jouent un rôle actif sur la rive droite du Tarn au XIIIe et jusqu’au XIVe siècle. Ils tentent d’étendre leur autorité au-delà du Tarn, sans succès. Leur pouvoir s’affaissent autour du XIVe siècle. La fréquence de leur mention dans les archives s’amenuise.

Par ailleurs, ces deux « P. » sont-ils des chevaliers de Lombers ? La chronologie permet de tenir cette hypothèse. Il est vrai, qu’entre autres, des chevaliers « vassal » tiennent des fiefs à Lombers du XIe au XIIIe siècle. Parmi eux, un Pierre.

Gasc et compagnie

Plus sûrement encore, il y a la famille des Gasc dont la première mention connue dans les archives remonte à 1256(6). Pendant plus d’un siècle, des Guillaume, des Raymond composent une fratrie qui se partage plusieurs fiefs. Celui de Bezelle à cinq kilomètres au nord de Lescure est sans doute le premier. S’y agrègent progressivement Arthès, La Barravié dans la paroisse de Sainte-Martianne au Garric et, enfin, Labastide-des-Vassals.

Les Gasc sont une lignée de damoiseaux et chevaliers vassaux des barons de Lescure- d’Albigeois.

Si nous sommes sans assurance aucune quant à l’origine du bâtiment, la fortune nous sourit quant à connaître la période de son abandon. Au détour d’une archive royale, on apprend que le dauphin (futur Louis XI) autorise un Gasc, Guillaume, à reconstruire son château de Labastide détruit par les Anglais en l’année 1430.

Grand privilège à une époque où va s’achever la guerre de Cent Ans, où l’obsession du pouvoir est d’éviter la construction des places fortes. Est-ce étonnant d’ailleurs si le projet n’aura pas de suite, car les Gasc semblent abandonner les lieux pour le plateau ? 

Les progrès de l’artillerie participent aussi d’un nouveau choix d’implantation pour la place forte.

Bref, c’est la fin d’une époque mais certainement pas celle du site dans sa globalité.

Les études aidant, certaines zones d’ombre sur ces péripéties devraient disparaitre ou au moins s’estomper. C’est bien tout ce que nous souhaitons. 

Un château qui gagnerait à être mieux connu

Il ne passe pas encore inaperçu au cœur du paysage.L’ensemble des fortifications, exposé au sud, s’adapte aux contraintes fortes du relief. Elles s’ancrent sur une plate-forme rocheuse qui domine le vallon du Lézert  à quelques 245 mètres d’altitude. Les sols sont minces. Y poussent actuellement de maigres chênes verts et du fragon, petit houx. C’est le domaine des ronces, des taillis, du buis malade.

Seules quelques trouées dans la végétation, ici et là, permettaient une visite compliquée il y encore quelques mois avant le débroussaillage.

À propos de visite, celle du colonel Louis Brieussel est restée dans les mémoires grâce au Bulletin de la Société des Sciences des Arts et Belles Lettres du Tarn en 1923. Celui-ci rédige un court texte à la suite d’une excursion in situ. On y apprend que le lieu, des plus « romantique », est déjà à l’état d’abandon. Le moulin comme le château. Il spécifie que l’arrêt de l’activité du moulin est récente (7) et décrit le château dans … un fouillis presque inextricable de broussailles et d’arbustes. À la suite de ces observations, le colonel dresse même un plan schématique des lieux que nous vous invitons à comparer avec le récent relevé.

Premières observations de nature géologique

Au sein d’un vallon, le Lézert trace un cours tortueux orienté nord/sud avant de se jeter dans le Tarn au Combal. À quelques 1500 m en amont de la confluence, sur le rive droite du Lézert au bout d’une berge convexe sont implantés un moulin et ses annexes. Sur l’escarpement, exposé au sud, qui domine le moulin est installé le castrum.

La roche ambiante appartient à la formation de Larroque de tufs rhyolitiques(8). Ils peuvent réserver des gites de minerais ferreux dont certains ne sont pas inconnus du CAPA. On sait que dans la région, les Trencavel en tire un revenu substantiel depuis la plus haute époque(9).

Affleurent des bancs gris-vert compacts avec des phénocristaux de quartz et de feldspath. Les formations sont très visibles comme assises des bâtiments sur le replat sommital. On peut aussi les observer sur le sentier et, bien sûr, comme éléments de construction.

Une entrée du dispositif se localise à l’ouest. Elle est marquée par un vestige de porte dont toute la portion nord a disparu. Les claveaux ont été arrachés.

Ce vestige de porte borde le chemin lors d’une épingle à cheveux comme le montre la dernière des photos.

Chemin faisant

Le réseau des chemins que Louis Brieussel présente comme charretiers mérite intérêt car indubitablement ancien. Par chance, ils ne sont pas envahis par les fourrés et font encore le bonheur des marcheurs. Quelques modestes remarques de bon sens sont désormais possibles.

D’abord, l’actuelle portion méridionale du chemin sur la commune de Crespinet semble d’origine postérieure à 1830. Elle n’est pas cadastrée au début du XIXe siècle comme le montre le cadastre napoléonien. C’est la partie la moins abimée et la plus large et rectiligne avec un mur de soutènement.

En outre, il existe bel et bien un sentier mais il est au fond du vallon et suit la rivière.

Bref, des tronçons sont tombés en désuétude et existent à l’état d’empreinte dans la forêt. Il indique d’autres logiques géographiques dont il faudra tenir compte.  

La portion nord en revanche est déjà bien en place. Le réseau obéit au tracé de 1830. Même embranchement, même ligne sur la rive droite comme sur la rive gauche.

Quelques cent mètres avant d’arrivée au site, un embranchement monte au hameau des Peygues, à l’est. Après le franchissement de la rivière par le pont du moulin, il est aussi possible de gagner le plateau de Saint-Grégoire en obliquant à l’ouest. À l’est, c’est une ligne droite vers le château avant la montée vers le plateau. Il est difficile de donner une hiérarchie à toutes ces voies.

Section de la grange du moulin au virage. Des parties ont nécessité des creusements.
Un tracé séculaire. Virage et dernière ligne droite avant le château.
Le chemin qui permet l’accès à la porte ouest est en épingle à cheveux. Notez au passage le mur de soutènement à gauche. A-t-il comblé un ancien fossé?

La roche, très dure, conserve mal la trace des ornières et des sillons. Tout du long, les passages ont poli et comme creusé la roche encaissante. Avant, la chaussée était probablement recouverte; aujourd’hui nombreuses sont les portions où la roche est à nue.

Ce chemin était-il le passage obligé vers le château ? Se prolongeait-il exactement jusqu’au château? Est-il contemporain de celui-ci ? Beaucoup de questions sans réponses.

Il n’est pas exclu qu’un autre chemin dans le talus au sud ait existé mais nous n’en n’avons trouvé aucune trace irréfutable pour l’instant. Le colonel Brieussel partage d’ailleurs cette hypothèse

À l’arrivée au château, le chemin principal devait enjambé un fossé aménagé à l’approche de l’enceinte où il est actuellement porté par un mur de soutènement, pas forcément ancien mais en cours d’effondrement.

La description du bâti du château encore en élévation sera l’objet d’un prochaine article.

Couches serrées du socle rhyolitique en saillie oblique orientées nord/sud. Elles sont polies à force d’usage. Le chemin qui monte au château est aujourd’hui peu carrossable.
La tranchée au nord est l’occasion d’observer le substrat rocheux mais aussi les impacts linéaires verticaux d’un outil de taille.
Entourées en rouge les portions disparues ou inusitées de nos jours. Remarquez que le chemin actuel qui va de la confluence aux Bessières n’existe pas encore. 
Sources : Archives départementales du Tarn
Le tracé sur la rive gauche, côté Crespinet, est identique ou presque à l’actuel. Il suffit de prendre une carte pour comparer. Sources : Archives départementales du Tarn
Le tracé sur la rive droite, côté Saint-Grégoire.
Sources : Archives départementales du Tarn

Notes

(1) – Avant même de passer au bâti enfoui. 

(2) – André Soutou, Quelques toponymes tarnais du Cartulaire de La Selve, Annales du Midi, Tome 99, N°177, 1987. La Selve est vers Réquista en Aveyron.

(3) – Les « bastides » se développent entre 1230 et 1350. Le mot, ici d’utilisation précoce, ne concrétise apparemment aucune forme de contrat écrit entre un seigneur et des paysans mais plutôt une forme de peuplement rurale autour d’un castrum. 

(4) – Texte original : Ego P. Vassali miles, filius quondam Bertrandi Vassali… et ego, P. Vassali miles, filius quondam Amblardi Vassali, recognoscimus nos tenere … bastidam nostram cum districtu suo, que est in parrochia de Caussanello, dyocesis Albiensis. 

(5) – « Vassal »: peu de chance pour que le terme provienne du registre de la féodalité. Il est plutôt un sens dérivé d’un mot qui qualifierait le jeune homme noble vaillant issu de l’occitan. Le terme de « vassal » est aussi bien un prénom qu’un nom d’ailleurs. On le voit ici. Il existe un « Vassal Vassal »

Petite précision si besoin est. Jusqu’au XVe siècle au moins, le nom de la personne(on dirait aujourd’hui le prénom)prévaut sur le déterminant( on dirait aujourd’hui le nom) qui rappelle un lieu de résidence familiale, un nom de parentalité, un métier ou même un surnom lié à une particularité physique. Il faut attendre Louis XI pour que le pouvoir commence à imposer un déterminant stable comme nom de famille. Jusque-là beaucoup d’individus – surtout parmi les plus humbles- n’avaient qu’un nom de personne. Jacques Astor, Dictionnaire des noms de familles et noms de lieux du Midi de la France, Ed. du Beffroi, Toulouse, 2002, p. 794 et 795

(6) Sur cette famille, voir le point récent à partir des archives fait par Cédric Trouch dans Réduits communautaires castraux et mise en défense des mas dans l’Albigeois des XIVe et XVe siècles, Archéologie Tarnaise, n°18, 2016, p. 78 et 79.

(7) – Il est officiellement déclaré « ruiné » en 1929. 

(8) – C’est l’une des composantes de la succession stratigraphique des terrains cambro-ordovicien de l’Albigeois cristallin., J. Guerangé-Lozes et M.P Mouline, Carmaux, 933, Carte géologique de la France, BRGM, 1998

(9) Hélène Debax, La féodalité languedocienne, XIe-XIIe siècles, serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Presse Universitaires du Mirail, 2003 

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