Un air de Plaisance
1298, Plaisance appartient à la dernière génération des bastides créée dans le Midi toulousain à l’initiative du roi de France après le rattachement du Rouergue au Royaume.
En l’occurrence ici, Philippe le Bel.
Ce grand mouvement de création de villes nouvelles n’épargna pas l’Aveyron avec à proximité, un peu plus ancienne et très remarquable celle de Sauveterre-de-Rouergue (1281).
Les traces discrètes subsistent d’une bastide
À proprement parler, Plaisance ne sort pas de terre ex nihilo.
Comme souvent pour les bastides, un habitat préexistait, le nouveau statut était alors l’occasion d’attirer de nouveaux habitants dans la vallée du Rance.
Reste que le premier stade d’habitat, avant même la bastide, suscite bien des hypothèses difficiles à étayer à cause de la pauvreté des archives avant la guerre de Cent Ans.
Il est probable que la colline hébergea un premier noyau d’habitat autour d’une église. Le bas de celle-ci fut, par la suite, aménagé et loti dans une perspective de bastide. Le nom de « Plaisance » (1) apparait à cette époque. Cette bastide, comme beaucoup d’autres, semble avoir connu des difficultés pour se développer à proximité du pont mais le projet n’avorta pas complètement.
En témoigne encore la grande rue et la place au bord de la rivière.
Une chose au moins est sûre, c’est le rôle de seigneur que joua assez tôt la famille des Panat jusqu’au début du XVIIe siècle. Les liens du village avec les deux lieux fortifiés que sont le « Castelas » et le château de Curvalle sont difficile à établir.
Force est de constater à la lueur des archives, il est compliqué de localiser les lieux avec exactitude tant les confusions sont possibles. Un bel exemple nous est donné par l’église qui pourtant située à Plaisance s’est longtemps appelée jusqu’au milieu du XVe siècle Saint-Martin de Curvalle de Plaisance De quoi y perdre son latin…
Tout un art : la callade
La montée vers l’église se fait encore grâce à une callade (2) bien conservée. C’est assez rare pour le souligner et mériter une mesure de protection. La rue pavée se développe de façon circulaire et conduit au sommet de la butte. Le dispositif a du subir des réfections et répond que très peu aux règles de l’art.
La porte Saint-Blaise et la croix Saint-Eutrope
D’autres éléments remarquables encore sont bien visibles telle une porte, typique de l’architecture fortifiée du XIVe siècle : la porte Saint-Blaise.
On note aussi la croix Saint-Eutrope du XVIe siècle. Sur la face intérieure, dans un cadre en forme de losange, le Christ. Sur la face extérieure, une niche probablement destinée à recevoir la Vierge. Celle-ci a disparu.
Dans la cohorte des saints guérisseurs, saint Eutrope soignait les « estropiés ». Mais le champ de ses compétences semble encore plus étendu. Au XIXe siècle, les paroissiens se serraient devant le monument pour demander au saint sa protection contre les gelées tardives.
Sur le haut : l’église Saint-Martin
Pour une partie au moins, les absides et le transept, l’église Saint-Martin remonte à la fin du XIIe siècle. Conçu sur un plan bénédictin à l’aspect massif remodelé à la période gothique pour la nef et les chapelles latérales. Qu’en était-il avant ? Ici et là, des traces de remploi témoignent d’un bâtiment antérieur dont il est bien difficile de donner une idée un tant soit peu précise.
Au portail occidental, les voussures retombent sur des chapiteaux remarquables. Certains en forme de boule comme à Ambialet. Ces chapiteaux en place mériteraient à eux seul un ample développement mais c’est sur un détail encore plus singulier que je préfère porter notre attention.
En guise de tapis, un échiquier
Jusque-là presque oublié, c’est celui d’un « plateau » d’échec entièrement gravé dans une dalle du chœur au sud. La grille bien visible forme un carré de 8 X 8 cases. Les noirs sont en relief, les blancs en creux.
Les sources médiévales, et même modernes, sur les échecs sont limitées : les pièces trouvées en fouille sont peu nombreuses et la littérature délicate à interpréter (4).
Dans le Sud-Ouest de l’Europe, la Catalogne très en lien avec le monde musulman semble avoir été le premier foyer de ce jeu au milieu du Xe siècle. Il se diffuse à partir de cette zone. Sont modifiés peu à peu la forme des pièces (plus figuratives) et les règles du jeu.
Un passe-temps tout sauf populaire
On sait que ce jeu est prisé par l’aristocratie. Selon Pierre Alphonse (fin XIe siècle), un juif converti et médecin d’Alphonse Ier d’Aragon, l’éducation du parfait chevalier comprendrait sept pratiques indispensables : équitation, nage, tir à l’arc, lutte, fauconnerie, poésie et les échecs.
Il est peu pratiqué dans les milieux populaires, aussi on retrouve des échiquiers sur différents supports dans les châteaux. Le « perron » entre autres, constitue dans la littérature médiévale un lieu de prédilection. Des cas plus rares, dans des auberges et des cloîtres, sont mentionnés.
Il bénéficia d’une tolérance accrue de l’Église d’abord rétive. Dès le XIIe siècle, elle s’attacha a bien distinguer les échecs des jeux de dés et d’argent, eux proscrits. Les évêques y firent même parfois référence de façon positive dans leurs sermons.
Un jeu moralisé
Le jeu renvoie à l’univers de la sagesse, de la patiente. Il est au départ l’œuvre d’Ulysse puis d’Aristote. Tout le monde y trouve son compte la propagande royale, la culture courtoise.
Intéressant, il est possible de se servir des échecs comme d’une couverture aux yeux du droit canon pour perdre de l’argent. C’est le scacus ou dringuet qui permet de parier sur des couleurs.
La croix des Hospitaliers de l’Ordre de Malte : une succession de symboles à décoder
Pour finir, nous est présentée la croix de l’ancien cimetière du Saint Laurent des Hospitaliers de Jérusalem sise à Saint-Laurent, hameau situé sur les hauteurs de la commune. Elle est à présent installée dans la nef de l’église.Une copie remplace l’originale sur les lieux.
Elle se trouve à proximité de l’entrée, on ne peut pas la manquer. Elle conserve le côté triomphal qui est sa vocation première.
Au cœur des pratiques dévotionnelles, ce spécimen remonte au XVe siècle et est orné de la fleur de lys et de la croix de Malte. Elle repose sur un socle de pierre par l’intermédiaire d’une longue colonne à pans coupés (octogonal). Son socle est un bénitier dont un orifice percé à un angle permettait au fidèle de passer la main pour signer avec l’eau bénite.
Sur la face antérieure à la jonction de la colonne et de la croix (stipe : montant vertical de la croix et fût de la colonne) figure une croix de Saint-André. À la croisée des branches (stipes et patibulum), une niche a été percée pour abriter une statuette de la Vierge. Sur la branche supérieure du stipe, une fleur de lys (représentation symbolique de la Vierge Marie en raison de sa blancheur: elle est un signe de pureté et de virginité). Au dessous de celle-ci deux lettres S et L. C’est l’abréviation de saint Laurent en écriture minuscule et majuscule gothique. Fleurs de lys et initiales de saint sont inscrites dans un encadrement dont le tracé est identique à celui de la niche. Dans le cartouche horizontal : « Roussel a fast la crotz »
Cette association peut s’expliquer par la dévotion particulière que saint Laurent vouait à la Vierge. Sur sa face postérieure est gravée la croix de Malte qui rappelait l’ordre auquel appartenait les Hospitaliers.
Les règles de l’art de la callade
Par Pierre Mascaras
Les « conducteurs » sont posés en premiers, ils délimitent les différentes zones de callades. Les pierres sont harpées et les joints de part et d’autre de la ligne conductrice doivent être croisés.
Harpage (alternance de pierres étroites et large disposition en carreau et boutisse)
Les « pas de l’âne » sont des pierres longues, pas très larges de surface. Avec les conducteurs, elles structurent la callade. Elles doivent être enfoncées assez profondément, des deux tiers dans le sol quand elles forment des marches d’escalier pour éviter le déversement. Comme les pierres de remplissage, elles sont toujours posées perpendiculairement à la pente ou au sens de circulation du chemin. Quand il n’y a pas d’escalier, les pas d’âne se nomment boutisses, ils consolident la structure. la zone calanque contre deux boutisses ou pas d’âne s’appelle une coudée (60 cm).
Les pierres de remplissage, qui proviennent la plupart du temps des « clapas” (épierrement des champs), sont posées joints croisés et perpendiculairement à la pente pour éviter le ravinement et leur déchaussement. Ces pierres ne sont pas très grosses. Elle présentent une surface plate et idéalement une forme conique.
Notes
(1) – Plaisance est un toponyme typique de ces bastides de la dernière génération comme Plaisance-du -Touch ou Plaisance-du-Gers.
(2) – Compléments d’information(voir ci-dessus:l’art de la callade)
(3) – Il s’agirait d’une croix losangée, curviligne avec niche au revers du croisillon. Les extrémités sont fleuronnées de quatre cylindres écartelés entre eux. Le tout repose sur un fût prismatique adouci en cavet à sa jonction avec le croisillon. Le fût repose sur un socle massif octogonal s’évasant vers sa base et reposant sur un piédestal à un degré. Quant à la typologie il s’agit probablement d’une des variantes de la croix pattée dont les croix subdiscoidales étudiées par Maurice Greslé-Bougnol sont une autre variante .
(4) – Nous nous appuyons sur Jean-Michel Mehl, Le jeu d’échec dans la société médiévale, Histoire antique et médiévale, hors-série, n° 33, 2012, ainsi que sur Luc Bourgeois, Introduction et mutations du jeu d’échec en Occident( Xe-XIIIe) dans Mathieu Grandet, Jean-François Goret, Échec et trictrac, Errance, Arles, 2012