Les remparts visibles de Cordes, site à amphores de Prat-Boyer, carrière calcaire de Corrompis
Un nouvel élan pour les comtes de Toulouse
Bien des questions subsistent sur la naissance de la ville de Cordes. Rien est aussi limpide que le veut la légende. Derrière les mots se cache un scénario complexe et discuté (1)
En résumé, la charte des coutumes de Cordes en 1222 sous le jeune Raymond VII, comte de Toulouse, n’est en aucune sorte la preuve de l’inexistence d’un habitat préalable. Elle n’est pas une charte de « fondation » à proprement parler. Elle montre surtout le souci des comtes de Toulouse de développer un habitat jusque-là très réduit (2) pour en faire un chef-lieu militaire et administratif.
La charte, tant commentée, montre aussi au détour d’une phrase, le souci d’accueillir des populations en manque de sécurité. Notamment celles de Saint-Marcel. Une chose est indubitable au moins : il s’agit, pour les comtes de Toulouse, de réorganiser un territoire meurtri par la croisade des Albigeois mais aussi de faire de Cordes une place commerciale. Et ce, à leur plus grand profit bien sûr.1
Une œuvre de longue haleine
Le premier réseau de rempart peut-il aider à y voir plus clair dans les intentions des comtes et de leur successeurs, peut-il même nous éclairer sur le Cordes des origines ?
Accueilli par Alain Manuel, nous sommes conduits dans le musée Portal afin d’apprécier l‘épaisseur du premier rempart. Celui-ci va justement nous servir de fil conducteur pour l’après-midi.
Notre hôte doute de sa réalisation en sept ans comme il est coutume de le lire ici et là. Le chantier s’étale dans le temps du début jusqu’au deuxième tiers du XIIIe siècle probablement. Beaucoup d’indices convergent en ce sens (3).
Les travaux s’inscrivent dans le contexte de la reprise en main de la région par Sicard Alaman et, surtout, par l’arrivée d’Alphonse de Poitiers, frère de saint Louis et comte de Toulouse jusqu’en 1271 (4).
Après le XIIIe siècle, d‘autres remparts viendront ceinturer la ville. Au gré des crises et des périodes fastes, ils marqueront soit des extensions, soit des replis.
Sites à surveiller : un passage sous la rue Saint-Grégoire. Une ouverture bouchée dans le talus du chemin du Coustou. Un accès à des caves ? La « grotte » et l’abri sous roche de Cordes.
Promenade extra muros, itinéraire
Pour revenir à la première enceinte, elle entoure de façon linéaire la butte rocheuse du puech de Mordagne qu’on a coutume d’appeler encore le « fort » au XVIe siècle. Quelques quartiers adjacents aussi. L’enceinte s’ouvre sur deux portes seulement. Elles présentent chacune un aspect monumental assez typique de la fin du XIIIe siècle. À l’est, la porte des Ormeaux. À l’ouest, le « Portail peint ». Entre les deux, l’axe transversal constitué par la Grande rue et la rue Saint-Michel. Au nord et au sud, des « portanels » fortifiées (des poternes en français) permettaient d’entrer et de sortir de façon plus discrète. À l’intérieur, les maisons se déploient en lots de façon orthogonale autour des rues principales. C’est le modèle du castelnau mais adapté au relief escarpé du Puech.
Au niveau du quartier des Ormeaux
Ici, la muraille primitive se présente sous l’aspect de trois fausses tours (5) typiques de la période Plantagenêse nous dit-on.
Depuis la petite terrasse du musée donnant au nord, Alain nous montre les limites supérieures de la muraille et les parties rehaussées. S’offre à la vue une composition assez hétéroclite, tout au moins au premier abord.
Sauf exception, pas de « beaux » remparts crénelés comme à Carcassonne. Pas plus de mâchicoulis, de parapet ou de chemin de ronde, il reste des segments de courtine à nu dont la lecture est rendue difficile par les reprises.
En effet, très vite après la construction, des maisons s’adossèrent au mur extérieur (6) quand la ville débordait d’activité. Elles enveloppèrent littéralement l’ancienne muraille.
Aussi, des portions entières de la plus vieille courtine ont été « avalées » dans les maisons actuelles. Autrement dit, les propriétaires découvrent le mur d’enceinte au fur et à mesure des réfections et des mises en valeur (7).
Quelquefois, le mur est encore apparent mais a été modifié en perdant sa fonction défensive. On y a percé des fenêtres ou des baies à ogives que l’on voit surtout au nord. La plupart ont été murées à différentes époques. Vous le comprendrez, relever l’exact tracé des courtines relève d’une étude extrêmement poussée, comme celle menée par Gilles Séraphin en 1996 (8).
En prenant la rue Fontournière et la rue de la Jane : un aperçu du rempart
Quand il est visible, le mur est généralement composé de moellons calcaires allongés, bien équarris et assisés. Ce sont soit les calcaires blancs tertiaires du site même (souvent les blocs les plus anciens), soit des calcaires dits « de Corrompis » extraits vers Les Cabannes (d’utilisation plus récente dans l’histoire). Ils sont posés presque à sec avec des joints incertains. Les pierres taillées qui ressortent ici et là sont en grès ocre ou beige.
Autant la partie basse de l’ouvrage montre une certaine homogénéité autant la partie haute distingue clairement des habitations que confirme la disposition des toitures. Un fossé surcreusé dans la pente longeait la courtine, à présent la rue. Il est attesté au XIVe siècle et confirmé un peu plus tard. Il est difficile à imaginer aujourd’hui tant la zone est abrupte.
Le niveau du sol était plus bas comme en témoigne les étages de soubassement enterré.
La nature même des vestiges laissent supposer dans le secteur de la porte des Ormeaux une participation des habitants à l’œuvre défensive. D’expérience, Alain rappelle qu’il n’est pas hors de propos d’imaginer que la fameuse muraille soit le fruit – tout ou en partie – d’une réalisation des habitants eux-mêmes. Le don de la parcelle à lotir étant conditionné par cette acceptation. Au fond du jardin, un mur aveugle à entretenir. Le cadastre témoigne encore de cette disposition des lots.
Androne. Venelles parfois en escalier conçues pour recevoir les déchets des latrines et des éviers latéraux. Ils séparent les maisons et débouchent dans les rues. Ils sont parfois fermés à leur arrivée par un pan de mur à arcade. Il débouche sur des « touats ».
Le portanel nord
Il témoigne fort discrètement du passage de l’enceinte primitive même si la porte actuelle ne remonterait qu’au XVIe siècle. Alain nous explique que le « portanel » d’origine devait être plus à l’intérieur de quelques mètres à la lueur d’observations faites dans les caves.
On remarquera une croix à 10 branches (XIIIe siècle) sur un chapiteau fort probablement en place. La ressemblance ne manque pas de frapper avec une borne redécouverte en Grésigne par nos soins il y a maintenant quelques années.
Mur goutterreau nord de l‘église Saint-Michel
L’église Saint–Michel fut édifiée dans le dernier tiers du XIIIe siècle. Elle est reconstruite plus vaste en 1345 en intégrant une partie du vieux rempart. Celui-ci fut ainsi protégé des destructions et réfections. Il apparaît au grand jour, bien visible si on y prête attention.
Sans investigation archéologique, pas moyen de connaître la position exacte du premier bâtiment religieux. Il semblerait qu’il était localisé plus à l’intérieur, séparé de l’enceinte primitive par un espace. Un cimetière peut-être.
Sous la maison de Charles Portal
Nous abordons à présent la visite des caves creusées sous l‘ancienne maison de Charles Portal. Nous y constatons la présence des soubassements d’un épais rempart (9) mais aussi d’une citerne afin de récupérer l’eau par un soupirail. En outre, les plafonds en bois de la cave laissent apparaître, par endroits, des motifs et des inscriptions sur les poutres et les solives. Il serait urgent d’en faire un relevé. L’état de dégradation des motifs est avancé.
Revenu en surface, nous nous arrêtons dans la côte abrupte de la rue Raymond VII devant le « Portail peint ». Même veine que celui des Ormeaux. Même période probablement. Notre guide indique l’existence avérée de silos au centre de la voie. Ce qui laisse supposer que l’actuel tracé était très différent du tracé initial. La voie d’accès était plus étroite, moins pentues. Elle devait longer le rempart par la rue Saint–Grégoire avant de pénétrer de biais à l’intérieur du bourg, une sorte de chicane offerte aux tireurs des coursives.
Par ailleurs, la rue devait être beaucoup plus haute que l’actuelle si l’on se fonde sur la hauteur présente des soubassements rocheux sur lesquels la porte repose à quelques deux mètres au-dessus du sol pavé d’aujourd’hui.
Le grand bond en hauteur
Nous abordons par la rue des Mitons (10) la partie sud du bourg. Là, les traces visibles de la muraille sont bien plus discrètes. Le caractère fortifié du site s’estompe. Des maisons à étages s’élèvent. On peine à comprendre le lien avec la muraille. De part leurs fenêtres géminées, elles datent de la fin du XIIIe siècle. À la « maison bloc » des premiers temps du castelnau succèdent des immeubles partagés, collectifs peut-être même locatifs dans le cadre d’un véritable nouveau projet immobilier. La présence de cours aussi redéfinit la trame urbaine initiale.
L’essor de la bourgade se traduit non seulement par un accroissement de l’emprise au sol (nous l’avons vu) mais aussi par une poussée en hauteur de l’habitat sur deux, trois étages. Les historiens s’accordent à dire que la ville monte vers le ciel à travers toute une série de bâtiments dits maisons-tours. Chacune, à sa façon, symbolise la réussite cordaise d’avant la guerre de Cent Ans.
La maison du grand fauconnier que nous observons sur sa façade arrière en est la parfaite illustration avec ses décors et motifs gothiques. Bref, c‘est à qui fera plus grand, c‘est à qui fera plus haut, c’est à qui fera plus beau. Mais ceci est très connu.
Par la rue Chaude (11), nous longeons la falaise qui révèle au passage une belle coupe du Stampien (Tertiaire). Elle fut intégrée aux fortifications avec des murs de soutènement. Reste à savoir comment.
Au vu des traces, des maisons devaient être bâties à flanc de versant. Nous ne voyons pas d’indices à proprement parler d’habitat troglodytique mais des opes et des creusements superficiels. Nous constatons une forme d’abri sous roche en longueur en haut de la rue.
Une anfractuosité dans la falaise en partie comblée par des générations de déchets de toutes sortes mériterait un dégagement. Si d’aventure, l’opération se déroulait, il convient de ne pas manquer de vigilance.
Nous terminions par la fontaine de la rue Chaude (12) dont les eaux proviennent de galeries taillées dans le rocher, calibrées pour le passage d’un homme dont il est bien difficile de cerner les finalités. À défaut, les légendes ne manquent pas qui comblent les vides de la connaissance.
Le circuit terminé, nous revenons au musée pour admirer l’oeuvre peinte représentant Notre Dame de Guadalupe ramenée d’Amérique du Sud par le corsaire Antoine Daire au début XVIIIe siècle dont Alain Manuel nous dresse un portrait haut en couleur.
Nous le remercions bien sûr pour sa gentillesse et la richesse de ses explications.
Notes
(1) – Voir la mise au point d’Èlodie Cassan-Pisani, Du Castrum au fortalicium: évolution du paysage autour de Cordes en Albigeois(XIe-XVIe siècle), Rapport d’étude (2009-2010)
(2) – En l’occurrence un castrum détruit progressivement avec le temps qui devait se tenir un peu à l’ouest de la place du marché actuel selon les propos de Maurice Berthe. Des « murailles de chasteau » existérent jusqu’au début du XVIIe siècle. D’autre part, la faible importance de l’habitat est renforcée par l‘absence d’une mention quelconque à l’existence d’une paroisse sur le site avant le début du XIIIe siècle.
(3) – En 1223, les habitants de Mouziès auraient contribué à la construction « des remparts et fossés ». Puis, de nouveau en 1252.
(4) – Le modèle capétiens de développement urbain contrôlé semble valable pour Cordes.
Justement maintes indices urbanistiques et architecturaux témoignent de ressemblance entre Cordes, Najac et Penne. Il ne nous appartient pas de développer ce côté très technique.
(5) – On parle d’enceinte « festonnée » avec des formes de demi-tours circulaires intégrées à la paroi extérieure.
(6) – Fin XIIIe siècle,c’est le signe de la prospérité de la bourgade et de la réussite des comtes de Toulouse dans leur entreprise.
(7) – Il n’est pas exclu, non plus, que des maisons soient antérieures aux premier remparts du XIIIe siècle et qu’elles aient servi d’une façon ou d’une autre à l’élévation de celui-ci.
(8) – Gilles Seraphin, « L’enceinte de Cordes », dans Les enceintes urbaines (XIIIe-XVIe siècles), Acte du 121e congrès national des Sociétés historiques et scientifiques, Nice, octobre 1996, Paris, 1999
(9) – De la période moderne. Sans doute XVIe siècle.
(10) – Mais que faut-il entendre par là ? Le chat, le bouillon des lessives ou même de la cuisine.
(11) – La présence de lavandières au travail dans la vapeur semble avoir motivé l’existence de ce toponyme. Toujours est-il, il n’est pas, bien sûr, hors propos d’y voir aussi un côté plus sensuel.
(12) – Attestée dès 1286.