Église Saint-Jean-Baptiste de Sommard (extérieur) avec son cimetière, les meulières de Marèze  et les fours de Sommard

a visite de Pierre Caussade chargé d’un inventaire statistique dans le cadre d’un projet collectif de recherche nous a permis un retour dans la meulière de la Marèze. Celle-ci fut l’objet déjà d’un compte rendu du CAPA. À cette occasion et pour lui nous présentons le site. 

Dans le bois de La Marèze (1)

Manifestement, certains lieux dégagent une atmosphère particulière. C’est le cas du versant est de la vallée de l’Aveyron en aval de Saint-Martin-Laguépie dit « La Marèze ». Sous le plateau de Sommard, il fut le théâtre d’une véritable « industrie » de l’Âge du Fer à l’Antiquité, celle des meules. Une industrie comparable à nulle autre dans la région proche. Carriers, bardeurs, transporteurs, tailleurs, poseurs – la liste n’est pas exhaustive – ont dû se succéder sur des générations.
C’est à l’occasion d’un accident tectonique majeur (faille de Villefranche) que des couches gréseuses profondes affleurent en surface sur les pentes de la vallée de l’Aveyron.

Roches dures et abrasives, ces grès n’ont pas manqué d’être appréciés pour leurs qualités intrinsèques. Tout au moins à haute époque, et jusqu’au début du Moyen Âge. On en fit des meules par milliers.

Après les meulières, c’est une autre histoire. Celle des dégâts causés par l’exploitation. Les paysans en manque de terres ont éprouvé bien des difficultés à réhabiliter le lieu. Planter, cultiver, aménager sur ces nappes de pierre, rien de tout ça n’était évident. Il semble qu’on ait peiné à reprendre la main sur la forêt. D’ailleurs, au vu du site, jamais les hommes des temps modernes n’y sont vraiment parvenus.

En parallèle aussi, l’histoire des réemplois pour décorer les maisons ou garnir les clôtures. Les usages étaient bien installés. Les meules entières ou éclatées sont devenues familières sur le plateau comme dans la vallée. Des propriétaires au Riols en font des collections. Nous montrons à Pierre Caussade quelques exemples de réemplois.

Les restes des carrières

Grâce aux reconnaissance menées en amont depuis quelques années, nous n’avons pas eu à chercher très longtemps. À peine une centaine de mètres sur le chemin qui mène vers le cap de la forêt et partout des cratères, des cuvettes immenses couvertes d’éboulis, des remblais à la tonne. Des décharges à ciel ouvert sur une douzaine hectares. Les chênes qui ont repoussés masquent à peine le laborieux travail des hommes il y a 3 000 ans. Des mousses coiffent les blocs et rendent les repérages difficiles. Pas moins de 6 meules rotatives ont pu être identifiées(2).

Sur une centaine de mètres de dénivelé, il n’y a pas une carrière mais une vingtaine (3)et c’est toujours les mêmes formes qui dominent. De petites falaises de grès dites « fronts de taille » ne dépassant pas 4 mètres de hauteur plus ou moins ensevelies (parfois complètement) dans la pente par des déchets, des rebuts ou des petits blocs de grès. Par-ci, par-là, des ébauches de meules ébréchées ou brisées.

L’attaque et le démantèlement furent menés à partir de diaclases (fissures verticales des roches) lisibles dans le paysage. Les hommes s’aidaient de coins et de leviers en bois dont les traces doivent dormir sous les mousses. Reste, suite au débitage, des falaises délitées en formes de « chicots ».
Le tout est accompagné de « cabanes » de pierres sèches de tailles diverses mais parfois toutes petites (1,60 X 1,20) aux formes élémentaires de carré ou rectangle(4). À l’opposé du front de taille, elle témoignent d’un art de bâtir bien particulier. La destination de ces formes d’architecture est-elle en lien avec les carrières ou est-elle le fruit d’aménagement ultérieurs pour l’élevage?

Il est à noter qu’une cabane plus grande (3,20 X 2,50) existe au-dessus des fronts de taille. On y aurait trouvé des fragments de tegulae.

Un port possible

La présence toute proche de l’Aveyron n’est pas un hasard. Y-avait-il un port  qui permettait de transporter le matériel semi-fini ? Sans doute. Même question pour d’éventuelles forges et d’habitats pour les carriers.

On en est certain, ces meules étaient exportées sur de longues distances. Notamment à Albi. Une carte des sites archéologiques de l’Âge du Fer (uniquement) où l’on a trouvé des meules de Marèze a été dressée en 2006 suite à un mémoire de master 2.

Usages des moulins rotatifs à bras

Le moulin à bras remplaça peu à peu les petites meules à va-et-vient du Néolithique. On va jusqu’à affirmer que le jour où l’on arrêta de transporter les meules à cause de leur poids de plus en plus lourd, les hommes devinrent sédentaires. Ils construisirent des villages. C’est dire…
Tout le rappelle à Marèze: le pain constituaient avec les bouillies, la base des repas des Gallo-romains et, avant eux, des Rutènes. Un pain de son ou de farine dense et noir. Presque toujours, dans les campagnes, ces farines étaient fabriquées sur place comme le prouve le grand nombre de meules découvertes sur les habitats. Chaque famille moulait sa farine « à la maison ». Excepté dans les villes, peut être.
Par ailleurs, il n’ y eut pas vraiment de grands moulins de l’Âge du Fer à l’Antiquité gauloise. On moulait la farine comme on moulait le café il n’y a pas si longtemps. Ces moulins dits « à bras », les légionnaires des armées romaines les transportaient sur mer, comme sur terre, pour la popote quotidienne.

Le moulin était composé d’une partie fixe : la meule dormante (meta) à base cylindrique se terminant par un cône sur laquelle venait s’emboiter, en cône concave, la partie supérieure tournante(catillus). Cette catillusétait en forme de cuvette de sablier pour recevoir le grain qui s’écoulait sur le plan de mouture par un trou central, « un œil » où apparaissait la pointe du cône de la partie inférieure. Cela formait un axe de rotation. Ce moulin, on l’actionnait à bras, à l’aide d’un emmanchement en bois sur le flan.

Ces meules protohistoriques et antiques sont identifiables. Le diamètre et le poids sont modestes. Plus tard, les modes de « traction » changeant, la demande évoluant, la meule va devenir plus lourde. C’est une autre histoire, celle de la naissance du «vrai moulin » que l’on connaît et dont nous reparlerons un jour.

Comment fabriquer une meule à Marèze ?

Le façonnage est réalisé sur place apparemment. D’abord le tailleur dégrossit la pièce pour obtenir une forme circulaire et plate. Il s’active à l’aide d’une massette. Parfois on avait la main heureuse, parfois moins. Au vu du résultat obtenu, on rejette le bloc ou on poursuit le travail.

Après cette opération, le moment du martelage est venu. L’ouvrier piquette la surface afin de parfaire sa forme à l’aide d’une broche comme le sculpteur.

Par la suite, les catilli sont évidées en partie pour obtenir un réceptacle avec des rebords plus ou moins prononcés. La partie n’est pas gagnée d’avance car les lèvres peuvent se casser à tout instant suite aux coups portés.

Enfin, un « œil » est creusé au centre ainsi qu’un trou d’emmanchement sur les côtés.

Le travail de jointure et d’ajustage n’est pas fait sur place apparemment.

Lors de la chaîne opératoire une fois sur deux le travail n’aboutit pas. Ce qui explique le volume des déchets.

Aucun galet de quartz portant les traces de bouchardage. Pas de pics de coins en fer de carrier. On trouve souvent sur les sites plus de metae car elles sont moins fragiles et font moins l’objet de nettoyage, à chaque fois source de fracture.

Un four gallo-romain au Cap de la forêt

Ensuite, nous nous rendons au « Cap de la forêt » toujours sur la commune à Saint-Martin-Laguépie. En 1974, les époux Blanc fouillèrent des fours de potiers gallo-romains(6). Des bâtiments, il ne reste en tout et pour tout que les cinq voûtains portant la sole. Ils sont couverts par des taules. Constitués de briques vitrifiées par la chaleur mais aussi de parpaings en grès, ils sont toujours en bon état de conservation. La zone de chauffe est visible en contre-bas dans une dépression envahie par la végétation. On devine encore la travée de l’alandier et on distingue, ça et là, de gros blocs de grès, socles des poutres qui soutenaient la charpente du foyer. Parmi eux, une ébauche de meule a disparu (7). Un drain pour l’eau est visible. Le site a pris la forme d’un bosquet. Dans le champ, plus haut, autour d’un puits, on relève encore des tegulae surcuites, déformées par la chaleur.

La disposition rappelle les grands principes de la cuisson de la terre cuite dans l’Antiquité bien connue dans notre région par les fouilles menées à Montans.

En suspens, demeure la localisation des canalisations évoquées par madame Dutheil mais surtout le fameux bâtiment à mosaïque dont Baron de Rivière et Élie Rossignol mais aussi Émile Jolibois se sont faits les rapporteurs zèlés mais peu précis. Etait-il en-dessous ? Où passait l’axe de circulation principal ? Y avait-il une voie de crête de Sommard jusqu’à l’Aveyron ? Par “La Croux de Bougne”, voie aujourd’hui détruite par la sablière. Fort probable.

Notes

(1) – Nous nous appuyon pour le compte rendu sur les propos de Christian Servelle et Émilie Thomas dans « Les meulière protohistoriques et antiques de La Marèze (Saint-Martin-Laguépie et Le Riols, Tarn): matières premières, modalités d’exploitation et de façonnage, diffusion de la production » tiré du livre Les Rutènes. Du peuple à la cité, Bordeaux, 2011 ». Nous avons utilisé aussi Jean-François Valéro, « Note préliminaire sur l’atelier de taille de meules antiques de la Marèze à Saint-Martin-Laguépie », BSABLT, n° 37, 1982
(2) – On sait qu’on fabriquait probablement aussi des mortiers et des meules à va-et-vient mais nulle trace.
(3) – … 24 exactement pour Jean-François Valéro.
(4) – Elles ne correspondent pas aux classiques « cazelles » du Quercy. Pas de formes circulaires pour ce bâti.
(5) – Nous renvoyons le lecteur pour l’analyse précise du bâtiment à Jeanne-Marie Blanc et Jean-François Blanc, Les fours de tuiliers et potiers gallo-romains de Sommard, Archéologie Tarnaise, Tome 1, 1984
(6) – Yvonne m’indique que d’autres carrières existent à proximité du site à côté du chemin. Nous enregistrons l’information.

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