Les petits secrets de la forêt ! Des pisolithes de goethite à foison (Penne)

Sites visités : gîtes de fer et carrière de phosphate dans la forêt de la Garrigue + les abris aménagés des Battuts bas

Site évoqué: une grotte des maquisards dans la forêt de la Garrigue

Si le fer météoritique a été exploité très tôt par martelage, le fer à l’état de minerai requérait « une réduction » des oxydes à des température avoisinantes les 1600°C. Aussi, ce n’est qu’à partir du VIIIe siècle av. notre ère qu’apparaissent les premiers objets de fer (1).  Et encore, pas partout en Europe. L’abondance de ce minerai et sa dureté entraîna la quasi disparition du bronze, tout au moins pour les outils et les armes.


En effet, le fer exige une métallurgie plus difficile à maîtriser. Impossible pour nos lointains ancêtres de le fondre mais seulement de le « réduire ». Le fer est récupéré grâce à des fours, puis mis en forme par forgeage. Cette métallurgie n’a pu se développer grâce à des connaissance et des pratiques complexes dont des archéologues retracent les grandes étapes depuis une bonne trentaine d’années.

La forêt de la Garrigue au nord de Penne réserve des poches d’argiles ferrugineuses et des carrières de phosphate. Source: carte IGN au 1/25 000

Dépôts dans les karsts

Notre visite nous porta à la découverte de gîtes de minerai de fer à Penne sur la rive droite de l’Aveyron. Guidés par Bernard, nous avons observé des « gorges » sèches profondes à l’est de la forêt de la Garrigue. À découvert, elles sont creusées naturellement dans les calcaires bajociens jusqu’à cinq mètres de profondeur. À l’intérieur, des phénomènes de ferruginisation sont  bien visibles.

Pour peu qu’on y prête attention, les parois présentent des poches argileuses qui contiennent des nodules ferreux extrêmement petits sous forme de billes. Ces billes sont aussi déposées par l’érosion. Elles jonchent les sols argileux partout, y compris à l’extérieur des crevasses.

Dans certains cas, dans certaines régions, à des époques anciennes, ces billes dites « pisolithes » furent exploitées. D’abord séparés de leur gangue d’argile par lavage, on les chauffait ensuite une première fois pour augmenter la teneur en fer. Enfin, des bas-fourneaux permettaient la fabrication du métal. Le site de Boécourt dans le Jura suisse éclaire toute la nature de ce travail à l’époque mérovingienne.

Ici, à Penne, pas de trace évidente d’activité d’extraction, ni de lavage, ni de transformation. Il faut dire que le lieu dense en végétation se prête mal à l’observation au sol. C’est pourquoi nous avons cessé nos investigations de recherche. Il est à signaler qu’il n’est pas exclu que ces crevasses naturelles aient pu être aménagées, surcreusées pour récupérer du minerai. Mais en l’état de nos connaissances et observations, il est bien difficile de l’assurer.

Un engrais minéral nommé H3 PO4

Dans un deuxième temps, nous visitâmes « discrètement »(2) une carrière à ciel ouvert de phosphate de chaux. Un chemin descend entre deux grandes parois d’une dizaine de mètres de hauteur. Il conduit à la grande chambre d’exploitation ouverte sur le haut par un trou(3) comme une cheminée.

Impressionnante, elle témoigne d’une l’époque d’optimum démographique dans les campagnes. Fin XIXe siècle, l’abandon progressif  de la jachère exige d’autres moyens pour nourrir les sols afin d’alimenter les hommes toujours plus nombreux. Les fertilisants naturels comme la bouse et même la colombine n‘y suffisent plus.

On ajoute alors des engrais à base de minéraux. Entre autres, les phosphates. On ira jusqu’à parler d’une « révolution chimique » dans le monde des campagnes. A proximité des routes, des carrières s’ouvrent. Elles sont parfois à l’origine d’un commerce juteux. Aujourd’hui, le phosphate nous vient de Lituanie, de Russie ou du Maroc.

Le site des Battuts

La deuxième partie de l’après-midi fut consacrée à une visite des bords de l’Aveyron. Aux Battuts, plus exactement. Le site se trouve à l’écart de tout habitat actuel (4). Sous des falaises surplombantes de 30 à 40 mètres de hauteur, au dessus d’un talus peuplé d’un enchevêtrement de buis couvert de mousse, une série de traces d’aménagement est associée à des éléments naturels (5). La rivière coule un peu plus bas. Aujourd’hui des rideaux de buis la dérobent à la vue. Tout au moins au pied de la falaise.

De plain-pied, une enfilade de structures aménagées

La roche plutôt tendre est propice aux creusements en tous genres (6). Se succèdent des abris rupestres sous encorbellement parfois murés. Tout autour les calcaires sont criblés d’encoches de solivage. La SSPCV en a décompté une cinquantaine. Autant de traces de la présence de structures en bois aujourd’hui disparues. En outre, on note aussi l‘existence de murs et d’enclos maçonnés collés par un bout à la falaise.

En hauteur, deux éléments remarquables

Deux éléments originaux caractérisent le site autour d’une cavité perchée. Aujourd’hui, impossible d’y accéder sans matériel d’escalade. Nous suivons les descriptions de la SSPCV.

D’abord, une citerne ou une sorte de réservoir cylindrique maçonné.

Ensuite un passage percé avec feuillure pour y encastrer une planche.

L’érosion jouant sont œuvre, il devient difficile d’observer sans risque l’ensemble des vestiges. Les vires ont du être aménagées mais elles se dégradent voire s’effondre avec le temps.

Peu à peu, se dévoile l’organisation d’un véritable petit hameau, lieu de vie dont la configuration a certainement évolué dans le temps(7). Il faudrait imaginer des cavités rupestres et des constructions sur plusieurs étages adossés à la paroi sans doute en bois. Ces superstructures doubleraient la superficie des résidences.

Le jeu des hypothèses

Résumons: des occupations comme celle-ci aux yeux des archéologues sont loin d’être anecdotiques dans l’Aveyron, le Tarn, et plus largement dans le Sud de la France. Elles répondent sûrement plus à des logiques d’optimum démographiques qu’à des soucis de protection. L’un n’excluant pas l’autre d’ailleurs. Pour ne parler que des phases historiques, les Ve et VIe siècle, les XIIIe et XIVe mais aussi des périodes plus récentes sont des périodes de présence. 

A la croisée de plusieurs fonctions, ces habitats contre et dans la falaise ne sont pas seulement le fait d’ermites marginaux mais aussi de paysans et même de seigneurs à l’instar des sites troglodytiques à profusion de la Basse-Auvergne et de Provence mieux étudiés. 

Tour à tour, lieu d’érémitisme village perché, carrière, cabanes de berger, refuges pour SDF. Depuis quelques années, les habitats troglodytiques ne sont plus vraiment ces curiosités qui prêtaient lieu à délires ésotériques. Fini, ils ne sentent plus le ragout de crapaud et le sacrifice humain.
Ces complexes d’ architecture en négatif laissent peu de traces d’archive, hélas. Ils sont souvent lessivés de toutes stratigraphies et d’une grande pauvreté de mobilier. Les fouilles y sont rares car difficiles. Les Battuts n’échappent à la règle. 

De part sa modestie, ce site au même titre que les souterrains ne bénéficie d’aucune protection particulière au titre des Monuments historiques. Personne ne l’entretient. A terme, il va disparaitre en raison de la fragilité de la roche, sujette à effondrement. L’heure est venue d‘en faire l’étude et la description pour les générations qui viennent.

Notes

(1)Pour répondre à des questions qui m’ont été posées. 
(2)Des bêtes risquaient de donner l’alerte aux dires de Bernard.
(3)Ce trou a servi de piège faunique. Des animaux décomposés s’étalent sur le bas. 
(4)Il en fut peut-être tout autrement à des périodes plus anciennes. 
(5)Suite aux observations studieuses de la Société Spéléologique des Pays Castrais et Vaurais(SSPCV) dont les compétences ne sont plus à démontrer.
(6)Y compris de type carrière. 
(7)Chaque creusement laisse une trace mais ensemble ils ne forment pas un tout contemporain. Non synchrones, ils se chevauchent probablement. Chaque génération a aménagé les lieux selon ses propres besoins.  

Publications similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *