Elle se cache derrière un inextricable maquis à l’amorce d’un virage, sur un versant qui surplombe un fossé: c’est la cabane du cantonnier de la D87 qui traverse la Grésigne du nord au sud. La trace – l’une des plus discrète qui soi – consiste en un trou creusé, le traouc del loup aux abords de la route.
Construite avec l’autorisation de l’ingénieur des Ponts et Chaussées, la cabane, souvent en pierre sèche, servait d’abri en cas d’intempéries mais surtout à remiser le matériel du cantonnier : faux, croissant, fourche à cailloux, pioche, masse en fer, cordeau d’une vingtaine de mètres et brouette en métal.
Le creusement et l’entretien des fossés ont eu raison de la cabane du cantonnier. De celle-ci et des centaines d’autres qui bordaient nos routes. Dans le Tarn, les mentions à ce genre de construction sont rares et précieuses.
Ces cabanes sont institutionnalisées en 1816. Elles sont construites et entretenues par le cantonnier et par ses successeurs. Celle-ci de plan circulaire, s’inscrit dans quelques mètres carrés seulement mais les modèles ne sont pas uniques. Ils différent selon les périodes et la nature des lieux.
« Y-en-a qui tiennent le haut du pavé moi, je tiens le bas du fossé » Fernand Raynaud
Le cantonnier est un personnage haut en couleur de nos campagnes jusque dans les années cinquante. Un sketch de Fernand Reynaud témoigne à son encontre d’une bonne part de mépris. Le cantonnier y est raillé pour sa paresse et sa simplicité d’esprit. Mais est-ce lui rendre justice ?
Les archives départementales 3 O relatives au Répertoire méthodique de la voirie communale et de rares travaux historiques présentent au cours du XIXe siècle un tout autre personnage.
Dévolu à l’entretien des routes sur un canton (un tronçon autour d’une dizaine de kilomètres), il va devenir un véritable agent de l’administration: efficace et courageux au même titre que le facteur.
Si le cantonnier ne fait jamais grève comme le remarque Fernand Raynaud, ce n’est pas parce qu’il est satisfait de sa condition mais plutôt parce qu’il exerce son travail en solitaire. Il a peu de lien avec ses semblables si ce n’est « le piqueur », son supérieur, très peu enclin à la compréhension. Les autorités administratives et les ingénieurs des Ponts-et -Chaussées s’empressent d’installer toute une hiérarchie avec des grades et des classes dont le seul point commun est celui d’être mal payé.
Si le cantonnier est présenté comme bébête et diminué, c’est qu’il est souvent issu des couches les moins privilégiées du paysannat. Il appartient à ceux qui n’avaient pas assez de terre pour vivre. Quant au niveau d’instruction : pour lui, juste le minimum scolaire. On l’oblige à savoir lire et écrire qu’en 1882, preuve que durant un siècle, le cas n’était pas si fréquent.
Le cantonnier, ce tir au flan …
Mais le plus étonnant encore réside dans la rumeur qui veut que le cantonnier soit paresseux et rêveur. Oui, il n’aurait de corne qu’au menton qu’il posait tranquillement toute la journée sur son manche de pelle. Un regard sur les règlements présente une réalité toute autre, voir à l’opposé. Celui de 1835 retient l’attention. Le travail attendue par ses autorités de tutelle sidère par son ampleur et sa précision.
En résumé, il s’agit de damer, déblayer, déneiger, curer, empierrer, réparer la route. Prévenir les utilisateurs d’éventuelles anomalies. Le cas échéant porter assistance aux voituriers lors d’accidents. Bref, il est partout où la route s’abîme, par tous les temps. En été : 78 h de travail par semaine. Un jour chômé le dimanche et encore… quand il n’y pas d’urgence. En hiver, le lever et le coucher du soleil rythment ses journées. En plus, le travail est dangereux. Les accidents ne manquent pas même si un guidon sert à signaler sa présence sur la route
Mauvaise réputation
Souvent, le cantonnier peut compter sur l’aide des habitants. Une aide obligatoire qui correspond à l’ancienne corvée. Entre autres, celle de rassembler en bord de route des tas de pierres pour l’entretien de la voie. À charge au cantonnier, grâce à un anneau de six centimètres de diamètre, de juger si elles sont acceptables. Pour les riverains, il fallait donc casser des cailloux au risque de payer une taxe. On imagine les réticences des propriétaires à accomplir cette servitude. On imagine aussi les discussions à n’en plus finir avec le cantonnier seul à même de valider le travail. Au-delà, le cantonnier vérifie si les propriétaires n’empiètent pas sur la chaussée ou n’y prélèvent pas de la terre.
Il doit tout consigner dans un petit carnet destiné à son supérieur hiérarchique. Est-ce la cause de son piètre succès d’estime ? Très certainement.
Le terme « cantonnier » disparaît peu à peu du langage. Avec l’arrivée du goudron, ses attributions et son action changent. L’appellation « cantonnier » est même remplacée par celle d’ » accoroutiste » à l’orée du XXIe siècle. Du petit cantonnier des chemins vicinaux, il ne reste plus grand’chose. On lui a même rasé sa cabane.
Un cantonnier dans et aux abords de la Grésigne fut Lucien Kurgoale de Sainte-Cécile-du-Cayrou. Il avait la responsabilité du tronçon est / ouest de la D8 entre Grand Baraque et La Cadène vers Loubers. On reconnaissait le cantonnier à son chapeau normé qui portait écrite sa fonction.
Livres consultés
Denis Glasson, Les cantonniers des routes. Une histoire d’émancipation, L’Harmattan, 2014
Daniel Loddo, Gents del país gresinhòl, Cordae, La Talvera, 2010
La Chronique du Musée des Berthalais, Novembre 2017
Thierry Couet, Transports et voies de communication au XIXe siècle, la route, Archives départementales du Tarn, 1994